Previous Page  71 / 184 Next Page
Information
Show Menu
Previous Page 71 / 184 Next Page
Page Background

Un musée au service de l’étude des collections - 69

Interview de M. Alain Mérot,

Professeur

d’histoire de l’art

moderne,

Université

Paris-Sorbonne

En quoi

l’exposition

«Poussin et Dieu»

a-t-elle été un

moment important

dans l’étude

de l’artiste ?

Même si la question

de la religion de Poussin

est depuis longtemps

au cœur des réflexions

menées sur le peintre,

le sujet n’avait pas

encore été franchement

abordé, que ce soit

dans le cadre d’un livre

ou dans celui d’une

exposition. Celle-ci

est donc doublement

importante, car elle

a permis de réunir

un nombre important

de tableaux, dont la

confrontation s’est

avérée fort riche,

et elle a donné lieu

à la publication d’un

imposant catalogue

offrant des notices très

fouillées des œuvres

présentées et des essais

rédigés par différents

spécialistes. Le propos

de l’exposition a été

principalement de

réexaminer le rapport

de Poussin à la religion

chrétienne. Elle

a conforté l’idée d’un

Poussin pleinement

chrétien, naguère

défendue notamment

par Marc Fumaroli,

contre l’image d’un

artiste libre penseur,

sinon athée, construite

par Anthony Blunt

et reprise par Jacques

Thuillier. Pour ce faire,

les organisateurs, grâce

à la richesse des prêts

obtenus, ont pu

présenter toutes

les pièces du dossier :

à côté des (rares)

commandes religieuses

proprement dites,

on pouvait voir des

œuvres destinées à tout

un cercle d’« amis

chrétiens » de Poussin.

La diversité des sujets

traités, qu’ils soient

tirés de la Bible

ou de la « fable

mythologique »,

et l’originalité avec

laquelle ils ont été

abordés par le peintre

(avec, vers la fin

surtout, la primauté

donnée au paysage)

font mieux comprendre

sa culture, la façon

dont il a abordé les

textes, mais aussi sa

poétique – sa capacité

à transformer en

images inoubliables

une matière aussi riche.

Votre cycle

de conférences

à l’auditorium a

rencontré un grand

succès. Comment

l’avez-vous conçu

et dans quel but ?

Je n’ai pas voulu,

dans ces conférences

destinées à un très

large public, présenter

de façon classique

« la vie et l’œuvre »

de Nicolas Poussin,

ni redoubler le propos

de mon livre (1990) sur

le peintre. J’ai préféré

faire entrer les

auditeurs/spectateurs

dans son «monde »,

c’est-à-dire montrer

le créateur à l’œuvre et

envisager la spécificité

de sa démarche. Les

lieux qui l’ont inspiré,

la culture dont il s’est

nourri, les étapes de la

composition du tableau

et la traduction

en images de ses

méditations ou de

ses rêveries ont été au

cœur de mon propos.

Le «monde »

de Poussin désigne

d’abord le cadre réel

d’une création : il fallait

donc rappeler les

éléments qui l’ont

constitué. Mais il est

aussi une construction

de l’esprit, tout un

imaginaire auquel

il m’importait

d’introduire. De plus,

il fallait prendre en

compte les trois siècles

et demi qui se sont

écoulés depuis la mort

de l’artiste et faire

sentir au public de 2015

que l’image que nous

avons de Poussin s’est

peu à peu construite

et modifiée au fil

du temps. J’ai donc dû

concilier la pédagogie

du professeur, qui

apporte un certain

nombre d’informations

sûres, et le point

de vue plus subjectif

de l’homme

d’aujourd’hui.

La figure du peintre

a longtemps paru

scolaire, intimidante,

et ses œuvres, érigées

en modèles d’un

certain « classicisme »,

ont souvent été taxées

de sécheresse. Il fallait

donc leur restituer

une vie, une fraîcheur

en substituant au

«peintre-philosophe »

un «peintre-poète »

doué d’une sensibilité

aux multiples facettes.