Emergence de Moscou (XIVe-XVe)
L'Emergence de Moscou
Moscou, mentionnée presque incidemment pour la première fois dans les chroniques en 1147, devient à la fin du XIIIe siècle la capitale d’une petite principauté aux mains de Daniel, fils cadet d’Alexandre Nevski. Entre 1304 et 1505 ses descendants parviennent à faire de leur modeste principauté une nouvelle puissance qui soumet peu à peu tous les autres centres pour former la Moscovie et s’émancipe progressivement du joug tatar. En 1380, la victoire du grand-prince Dimitri Donskoï contre les Tatars à Koulikovo en est le premier symbole qui prendra fin un siècle plus tard. Le « rassemblement des terres russes » s’accompagne du transfert décisif, en 1328, du siège des métropolites de Vladimir à Moscou, tandis que l’Eglise russe devient autocéphale en 1448. Enfin, engagé par saint Serge de Radonège au milieu du XIVe siècle, le renouveau du monachisme, soutenu par les grands-princes de Moscou, irrigue désormais les campagnes, s’étend à toute la Russie et bientôt jusqu’à la mer Blanche. L’essor de Moscou se confond aussi dès la fin du XIVe siècle et autour de 1400 avec l’art d’André Roublev et le rayonnement des ateliers d’orfèvres du métropolite Photios (1408-1431). Les liens de Moscou avec Byzance se resserrent et colorent plus ou moins fortement les premières œuvres moscovites.
Saint Serge de Radonège et le renouveau monastique
A peine âgé de vingt ans, saint Serge de Radonège (1322-1392) fonde le monastère de la Trinité. Rompant avec la tradition des monastères urbains ou proches des villes, il établit son abbaye au milieu des forêts, inaugurant un vaste mouvement de colonisation monastique. Les nouvelles communautés, où règne une discipline beaucoup plus stricte, deviennent rapidement des propriétaires fonciers, s’élevant parfois au rang d’acteurs majeurs de la vie économique du pays. Certaines atteignent avec le temps la taille de véritables cités monastiques, ceintes de remparts, et jouent rapidement un rôle artistique majeur. Le mouvement atteint bientôt des régions beaucoup plus lointaines. Saint Cyrille de Beloozero († 1427), un des frères du monastère moscovite de Simonovo, monte au nord avec son compagnon, saint Théraponte († 1426). Tous deux sont à l’origine de la famille des monastères du lac Blanc (Beloe Ozero) dont les deux principaux portent leur nom. Suivant les cours d’eau, des ermitages et des hameaux apparaissent toujours plus au nord. L’abbaye de Solovki, sur une île de la mer Blanche, est fondée en deux temps. Germain et Sabbatios († v. 1435) débarquent sur l’îlot et y vivent quelque temps en solitaires ; quelques décennies plus tard, Germain conduit Zosime († 1478) à cet endroit. Zosime est le véritable fondateur de la communauté et obtient de Novgorod la cession de l’île et de ses droits de pêche. En tout, environ 150 fondations nouvelles apparaissent entre les années 1360 et le début du XVIe siècle. L’enracinement du monachisme dans les campagnes de la Russie proprement dite date de cette époque.
L'Essor de la Moscovie sous Ivan III le Grand
Sous le règne de Basile II (1425-1462), la transmission du pouvoir grand-princier du père au fils aîné s’impose. Ivan III (1462-1505) poursuit le « rassemblement des terres russes », annexant les principautés de Rostov (1474), Novgorod (1478) et Tver (1485). En 1480, il tient tête à la puissante armée du khan Ahmed, descendant de Gengis Khan, sur la rivière Ougra, abolissant de fait la subordination de Moscou à la Horde. Dès 1485, Ivan III se proclame « souverain de toute la Rous’ » et le terme « autocrate » commence à être utilisé. En 1498, il organise le premier couronnement russe au bénéfice de son petit-fils Dimitri, reproduisant l’investiture d’un héritier du trône byzantin. La Moscovie s’ouvre aussi sur l’Occident. En 1472, Ivan III épouse la nièce du dernier empereur byzantin, Zoé-Sophie Paléologue, une princesse grecque d’éducation italienne. Les Italiens Aristote Fioravanti, Alvise le Jeune, Marco et Piero Antonio Solari participent à la reconstruction du Kremlin. Ivan III contracte des alliances avec la Moldavie et se rapproche des Habsbourg. C’est d’ailleurs d’Autriche que vient l’emprunt de l’aigle bicéphale, représenté pour la première fois sur un sceau russe en 1497. Cependant, ces ouvertures ne diluent pas, bien au contraire, l’identité orthodoxe de la Russie.
Moscou : le « Grand atelier »
Le règne d’Ivan III (1462-1505) marque l’essor spectaculaire des ateliers du Kremlin dont l’activité culmine sous Ivan IV le Terrible (1533-1584). Dès la fin du XVe siècle, ils rassemblent les meilleurs artistes de Russie auxquels se joignent monnayeurs, armuriers et orfèvres étrangers, principalement allemands, anglais ou hollandais, activement recherchés. Tous travaillent à la gloire du souverain et de l’Eglise. Ainsi naît un art de cour singulier qui concilie la tradition et les innovations techniques et décoratives issues de la Renaissance. L’orfèvrerie adopte l’émail sur ronde-bosse d’or ou encore la gravure niellée sur fond d’or lisse, inspirée des techniques occidentales de la gravure, sans exclure un attrait pour l’Orient et l’arabesque. De son côté, Dionisi et ses élèves renouvellent dès la fin du XVe siècle le regard des peintres moscovites sur la peinture grecque, tandis que les ateliers du Kremlin se singularisent bientôt par l’élaboration d’une iconographie recherchée, voire complexe, et d’un style élégant, parfois maniériste. Dans la seconde moitié du XVIe siècle, leur art se diffuse largement jusqu’aux confins de la Moscovie.