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Les grands centres (XIVe - XVe)

La « république » de Novgorod aux XIVe et XVe siècle

Au début du XIVe siècle, la carte des pays russes se présente comme une mosaïque de principautés de tailles très inégales. L’une des plus puissantes est Novgorod, au nord-ouest de l’ancienne Rous’, dont le pouvoir s’étend jusqu’à la mer Blanche et en direction de l’Oural. La ville, jusqu’à sa chute aux mains de Moscou en 1478 est administrée par un véritable échevinage où chaque quartier est représenté dans le gouvernement de la cité, aux mains d’une oligarchie marchande et de propriétaires fonciers. Novgorod, en effet, appartient au réseau du commerce hanséatique tout autour de la Baltique, drainant fourrures, cire et matières premières de l’arrière pays. Des comptoirs de marchands allemands sont installés dans la ville, largement ouverte sur l’Occident. Comme dans la plupart des autres grands centres de la Russie médiévale, une école architecturale et artistique locale s’épanouit à Novgorod, stimulée par les largesses des élites et la puissance des archevêques.

Les grands centres de la Russie médiévale

La plupart des grands centres de la Russie médiévale développent eux aussi leurs propres écoles artistiques. C’est le cas à Pskov, cité elle aussi liée au commerce hanséatique, qui s’émancipe de la tutelle de Novgorod dès 1348. D’abord proche de Novgorod, une école de peinture revisite à son tour l’héritage byzantin de l’époque paléologue, en y puisant une grande élégance et une sensibilité particulière aux effets de couleurs franches. Tver, de son côté, située au nord-ouest de Moscou sur la route de Novgorod, devient une principauté dès le milieu du XIIIe siècle et siège d’un évêché vers 1271. Elle rivalise sur le plan politique avec Moscou qui finit par l’absorber en 1485. Sa peinture renouvelle à son tour la tradition au XVe siècle avec une grande fidélité aux canons de l’art byzantin dans une interprétation volontiers narrative, avec une palette harmonieuse où se déclinent plusieurs tons au sein d’une même couleur privilégiée.

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Icône : les saints Jean Climaque, Georges et Blaise

Saint Jean Climaque est représenté entre deux saints tout petits, Georges et Blaise de Sébaste. L’anachorète Jean Climaque, mort vers 650, est l’auteur d’un traité dans lequel la vie spirituelle des moines est vue comme l’ascension d’une échelle, dressée entre vices et vertus, conduisant vers Dieu. La différence de proportions entre les personnages est frappante. Si la hiérarchisation des personnages répond à un procédé connu de la peinture byzantine, des effets aussi contrastés sont rares. Par sa facture et son style, l’icône offre les traits les plus caractéristiques de la peinture de Novgorod à partir de la seconde moitié du XIIIe siècle : monumentalité des figures, fond rouge, gamme chromatique, recherche appliquée du détail ornemental. L’œuvre passe pour avoir été trouvée à Kresttsy, à moins d’une centaine de kilomètres de Novgorod. Cette icône est la plus ancienne œuvre conservée, caractéristique de l’art de Novgorod après l’invasion mongole.
Novgorod, seconde moitié du XIIIe siècle ; tempera sur bois ; H. : 1,08 m ; l. : 67,5 cm ; ép. 3,4 cm ; prov. : Kresttsy (oblast de Novgorod) Saint-Pétersbourg, Musée Russe, inv. ДРЖ-2774
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Icône : saint Georges terrassant le dragon

Sur un fond rouge intense, saint Georges, monté sur un cheval d’un blanc éclatant, manteau flottant au vent, transperce de sa lance la gueule du dragon à l’entrée de sa grotte. En haut à droite, la main du Christ sort d’un segment de ciel et le bénit. Dès les lendemains de la christianisation, les images dévotionnelles de saint Georges terrassant le dragon se multiplient. L'image du saint guerrier symbolisant la victoire devient au XVe siècle l'emblème de Moscou et celle du défenseur de la Russie. L’œuvre fut réalisée à Novgorod, comme le montrent la composition limpide, l’opposition du rouge et du blanc, les grands à-plats de couleurs, la ligne simplificatrice et sinueuse du dessin, le goût du détail. Ces éléments appartiennent à la tradition antérieure mais dans la première moitié du XVe siècle, certaines œuvres de grande qualité montrent un retour délibéré vers les formes du passé.
Novgorod, deuxième quart du XVe siècle ; tempera sur bois ; H. : 58,5 cm ; l. : 42 cm ; ép. : 3 cm ; prov. : église du village de Manikhino (oblast de Volkhov) près de l’embouchure du Pacha Saint-Pétersbourg, Musée Russe, inv. ДРЖ-2123
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Icône : les saints Boris et Gleb

Les saints Boris et Gleb sont représentés soit debout en costume princier, soit comme ici chevauchant côte-à-côte. Cette iconographie apparaît en Russie au XIVe siècle et se fonde sur un des épisodes de leur vie qui relate la vision des saints cavaliers par des prisonniers enfermés dans un cachot. L’image dérive de modèles byzantins : les saints militaires à cheval, parfois même en couple, se trouvent dès le XIIIe siècle à Byzance. Cette peinture est généralement attribuée au dernier tiers ou à la fin du XIVe siècle. Les traditions novgorodiennes qui s’observent dans la ligne sinueuse et le goût du détail décoratif, tendent à s’effacer devant les innovations picturales de l’art byzantin du milieu du XIVe siècle, en particulier le rythme solennel et l’expression des volumes à l’aide de dégradés subtils de couleurs. Leur synthèse donne à l’œuvre une résonnance majestueuse et héroïque qui permet à la peinture de Novgorod d’atteindre ici un sommet.
Novgorod, dernier tiers du XIVe siècle (vers 1377 ?) et deuxième tiers du XVIe siècle (revêtement) ; tempera sur bois de tilleul, argent doré ; H. : 1,16 m ; l. : 93 cm ; prov. : église Saints-Boris-et-Gleb-des-Charpentiers du quartier des marchands à Novgorod, construite en 1377 Novgorod, Musée d'Etat de Novgorod, inv. ДРЖ 1068
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Panagiarion - Maitre Ivan Arip

Le terme grec de panaghiarion ( de panaghia « toute sainte »), désigne la patène destinée dans le rite orthodoxe à contenir un morceau de pain symboliquement offert à la Vierge par les moines et les évêques à la fin des repas et à l’occasion de la liturgie de l’Orthros (ou matines). Ce panaghiarion, constitué de deux coupes d’argent doré ouvrant à charnières, repose de façon exceptionnelle sur un pied qui permet de le poser sur une table et d’exalter sa fonction. Si le dessin polylobé de la base et la couronne de fleurons gothiques rappellent des pièces allemandes du XVe siècle, les anges juchés sur des lions font revivre de manière éblouissante les formes issues de l’art roman. Il n’y a guère qu’à Novgorod, très ouverte sur l’Occident à l’époque de l’archevêque d’Euthyme II (1429-1459) en l’honneur duquel est dédié l’objet, que l’on pouvait ainsi créer au XVe siècle une synthèse aussi accomplie des apports de l’art occidental et des traditions les plus hautes de l’orthodoxie.
Novgorod, 1435 ; argent doré, cuivre doré, traces d’émail ; H. : 30 cm ; D. du panaghiarion : 25 cm ; D. de la base : 22,5 cm ; prov. : trésor de la cathédrale Sainte-Sophie à Novgorod Novgorod, Musée d'Etat de Novgorod, inv. ДРМ 268 / НГМ 1108
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Croix votive des habitants de la rue Lioudogochtchaïa
Iakov Fédossov (?), sculpteur

La croix de la rue Lioudogochtchaïa a été commandée en 1359 par les habitants de cette rue pour l’église des Saints-Flor-et-Laur comme l’atteste l’inscription sur son pied. La croix se singularise par sa forme élaborée et ses bras dotés d’appendices. Plusieurs croix de Novgorod, votives ou funéraires, reprennent ce principe. La face comporte dix-huit médaillons à décor figuré avec notamment au centre la Déisis, le Christ, la Vierge et saint Jean Baptiste, ici curieusement représentés assis. Le répertoire iconographique attaché à la tradition, le caractère linéaire du décor et la stylisation accentuée des personnages, un peu archaïques pour l’époque, se rapprochent d’autres œuvres sculptées sur pierre ou sur bois à Novgorod dans la première moitié du XIVe siècle.
Novgorod, 1359 ; bois de pin, traces de tempera ; H. : 2,16 m ; l. : 1,49 m ; prov. : église des Saints-Flor-et-Laur de la rue Lioudogochtchaïa à Novgorod Novgorod, Musée d'Etat de Novgorod, inv. ДРД 144
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Icône : Déisis et Novgorodiens en prière

L’icône est divisée en deux registres : sous l'image de la Déisis sont représentés, quatre hommes et un enfant, à gauche et, deux hommes, une femme et un enfant, à droite. Il s’agit probablement des membres d’une même famille de boyards de Novgorod, commanditaires de l’icône, qui ont revêtus les habits de leur rang. Ils offrent une image concrète de la société patricienne de la république de Novgorod à la fin du Moyen Age. L’icône associe sur une même œuvre, de manière rare en Russie à cette époque, le registre céleste de la Déisis à un registre de personnages laïcs. L’œuvre était peut-être destinée à la chapelle funéraire d’une riche famille de Novgorod. On sait, en effet, que les icônes funéraires commémoratives étaient largement répandues dans les usages de l’aristocratie de la cité.
Novgorod, seconde moitié du XVe siècle (1467 ?) ; tempera sur bois de tilleul ; H. : 1,12 m ; l. : 85 cm ; prov. : découverte en 1849 dans l’église Saint-Barlaam-de-Khoutyn à Novgorod Novgorod, Musée d'Etat de Novgorod, inv. ДРЖ 968
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Icône : Dormition de la Vierge

La Dormition de la Vierge, c’est-à-dire sa mort en présence d’apôtres et du Christ venant recueillir son âme pour l’emporter au Paradis, suit le schéma byzantin tiré des textes apocryphes. Sur des nuages tirés par des anges, les 12 apôtres se rendent miraculeusement à Jérusalem pour assister à la mort de la Vierge. Au centre, la Vierge se penche vers saint Thomas, en retard, auquel elle tend sa ceinture comme preuve de sa mort. Le voyage des apôtres dans les airs a connu un vif succès au point de donner à ce type iconographique le nom de Dormition aux nuages. Au registre inférieur, derrière la Vierge allongée sur son lit de mort autour duquel se pressent les apôtres, apparaît le Christ, entouré d’une mandorle peuplée d’anges. Il tient l’âme de sa mère sous la forme d’une figurine emmaillotée. L’icône se distingue par une facture soignée et une perfection classique. Les accords de couleurs sont à la fois harmonieux et recherchés. L’icône est généralement attribuée à Tver.
Tver, XVe siècle ; tempera sur bois ; H. : 1,13 m ; l. : 88 cm ; prov. : ancienne collection Ilia S. Ostrooukhov (1858-1929) à Moscou Moscou, Galerie Tretiakov, inv. 22303
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Fresque : deux saintes martyres

Les fouilles conduites dans la ville médiévale de Pskov dès 1954 ont mis au jour les vestiges de plusieurs églises, détruites sous Pierre le Grand pour faire place à des fortifications. Cette fresque provient des ruines d’une église mise au jour entre 1974 et 1978 dans la citadelle de Dovmont, édifiée par le prince lituanien qui assura la sécurité de Pskov à partir de 1266. Le traitement dynamique des vêtements, aux larges traits de pinceau, puise dans l’art byzantin de la Renaissance paléologue du début du XIVe siècle. En revanche, le rendu des visages se distingue par des carnations peu modelées rehaussées de denses touches fines disposées d’une manière expressive, dans la tradition de Pskov et Novgorod. L’attachement au courant byzantin du début du siècle explique la date de la réalisation de la fresque vers 1350.
Pskov, seconde moitié du XIVe siècle ; fresque ; H. : 1,87 m ; l. : 1,31 m ; prov. : Pskov, église de la Nativité ( ?), citadelle de Dovmont Saint-Pétersbourg, Musée de l’Ermitage, inv. ЭРИ-1187.
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Icône : Saint Démétrios

Les reliques de saint Démétrios - le grand saint militaire patron de Thessalonique - apportées en Russie au XIIe siècle, sont translatées de Vladimir à Moscou à la veille de la bataille de Koulikovo en 1380 ; on leur attribue un rôle décisif dans la victoire contre les Tatars. A partir du XIVe siècle, les images du saint insistent moins sur le côté guerrier et protecteur que sur la douceur et la contemplation dans un style puisant ses sources dans l’art byzantin des Paléologues. L’icône est l’une des plus raffinées, et sans doute l’une des plus tardives, d’un courant qui fleurit à Pskov dans les années 1420-1440 et qui s’exprime dans la quête d’une élégance aristocratique et se manifeste dans les ornements délicats en camaïeu couvrant l’armure et le bouclier. Le caractère exceptionnel de l’œuvre suggère une provenance relativement prestigieuse, probablement l’église Saint-Démétrios de Pskov dans la citadelle de Dovmont dont elle pourrait avoir été à un moment l’icône titulaire.
Pskov, deuxième quart ou milieu du XVe siècle ; tempera sur bois de pin ; H. : 87,8 cm ; l. : 66,8 cm ; prov. : église monastique Sainte-Barbe du village de Petrov à Pskov construite en 1618 Saint-Pétersbourg, Musée Russe, inv. ДРЖ 2729