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La Vénus d'Arles - Approche de l'objet archéologique : les enjeux de la restauration et de la restitution

(Fabrice Denise, responsable du Service des Publics, Musée de l'Arles et de la Provence antiques)


Objectifs
A travers l'étude de la Vénus d'Arles on peut aborder les thèmes suivants :
- Le goût de l'Antique et la spéculation érudite : comment se mobilisent les élites intellectuelles ? Quelles sont les grandes querelles historiques et archéologiques selon les siècles?
- Les problématiques d'un objet archéologique : découverte fortuite et chasse au trésor, attribution, interprétation, conservation, restauration, dérestauration, restitution
- Les sources documentaires d'un objet archéologique : les identifier, les comprendre.
- Un objet au service des idéologies : Vénus dans le théâtre construit par un de ses descendants l'empereur " Auguste ", Louis XIV à la recherche des plus belles pièces anciennes pour décorer son palais à Versailles, Mistral et les arlésiennes comme héritières de Vénus.
- L' " original ", un concept à manier avec prudence : que reste-il du marbre d'origine, repérer les transformations apportées à chaque époque.

La Vénus d'Arles
Date : Ier siècle av. J.-C.
Lieu et contexte de découverte : vestiges du théâtre d'Arles. Ensemble statuaire qui décorait le mur de scène du théâtre. Copie, en marbre d'Italie, d'une oeuvre grec du sculpteur Praxitèle (360 av. J.-C.)Date de découverte : 1651

Histoire des interprétations de la Vénus d'Arles
Probablement inspirée d'une oeuvre de Praxitèle, cette statue fut retrouvée incomplète et en trois fragments en 1651 à Arles. Son lieu de découverte était à cette époque interprété comme un temple ; nous savons depuis le début du XIXe siècle qu'il s'agit du théâtre antique.
L'identité même de la statue a fait couler beaucoup d'encre ; identifiée lors de sa découverte comme une Diane chasseresse, elle devient la déesse Vénus, à la suite de travaux d'érudits comme Claude de Terrain.
Après une première restauration locale, la statue en marbre fut exposée à Arles pendant plus de trente ans, avant d'être " offerte " à Louis XIV (sur sa demande) pour décorer Versailles. C'est à cette occasion, que le sculpteur du roi, François Girardon, lui rend définitivement son identité. Il consacre Vénus en plaçant une pomme dans la main droite de la statue rappelant le jugement de Pâris et dans la main gauche, un miroir.

Fig. 1 à 10 : Un moulage " originel " contre un " original " restauré
L'histoire de la Venus d'Arles apparaît comme un formidable chassé-croisé, vieux de plus de trois siècles, entre un marbre antique et ses copies modernes.
Le roi confia la "restauration" de la statue au sculpteur François Girardon qui en plus des bras, procède à des ajouts sur la draperie, supprime les deux tenons sur l'épaule et la hanche droite, et modifie l'inclinaison de la tête. La statue peut désormais rejoindre la galerie des Glaces tandis qu'une copie de l'oeuvre restaurée est visible dans l'escalier d'honneur de l'hôtel de ville d'Arles.
Avant de rejoindre Paris en 1683, plusieurs copies en plâtre de la Vénus sont réalisées, dont une, par le sculpteur arlésien Jean Péru. Ce plâtre conservé à l'Hôtel de ville, a disparu à la suite de la Révolution française.
En 1911, réapparaît un plâtre de la Vénus avant restauration, exposé au musée lapidaire et longtemps considéré comme celui de Jean Péru. En 1995 il est alors identifié en comme un plâtre plus tardif, réalisé au XVIIIe siècle, conservé aujourd'hui au Musée de l'Arles et de la Provence antiques.

Fig. 1 : Statue d'Aphrodite dite "Vénus d’Arles", Marbre, Inv. Ma 439, musée du Louvre © 2006 Musée du Louvre / Daniel Lebée et Carine Déambrosis

Fig. 2 : Cour de la Miséricorde vers 1800, le théâtre antique d’Arles avant son dégagement, d’après l’aquarelle d'E. Tassy, Museon Atrlaten, Musée de l’Arles et de la Provence antiques © Cliché : M. Lacanaud

Fig. 3 : Le Théâtre antique d'Arles © Cliché : M. Lacanaud

Fig. 4 : Diane d’Arles, "Ceste diane d’arles faicte par Mesnaget" in Recueil d’antiquités formé par Monsieur Laurent Bonnemant (1657), Ms 242, Médiathèque d’Arles © Cliché : F. Denise

Fig. 5 : Ogier (dessin), "Vénus d’Arles" in Recueil d’antiquités formé par Monsieur Laurent Bonnemant (après 1680), Ms 242, Médiathèque d’Arles © Cliché : F. Denise

Fig. 6 : Ogier (gravure), "Vénus d’Arles" in Recueil d’antiquités formé par Monsieur Laurent Bonnemant (après 1680), Ms 242, Médiathèque d’Arles © Cliché : F. Denise

Fig. 7 : J. Wolffy, "Vénus d’Arles" in Recueil d’antiquités formé par Monsieur Laurent Bonnemant (après 1680), Ms 242, Médiathèque d’Arles © Cliché : F. Denise

Fig. 8 : "Conversation curieuse fur la Diane & la piramide d’ARLES", extrait du Recueil d’antiquités formé par Monsieur Laurent Bonnemant, Médiathèque d’Arles, Ms 242 © Cliché : F. Denise

Fig. 9 : P. Mellan (gravure), Diane d’Arles, 1653, Arles, Collection particulière © Cliché : M. Vachin

Fig. 10 : La Vénus d’Arles, Copie en plâtre, XVIIe siècle, Musée de l’Arles et de la Provence antiques © Cliché : M. Lacanaud

Une névrose fétichiste
En 1821, la Statistique du Département des Bouches-du-Rhône, apparente la " race arlésienne " aux Romains. C'est alors que la Venus d'Arles, patronne des filles d'Arles, entre dans l'arbre généalogique des Arlésiennes en qualité d'aïeule. Frédéric Mistral et les ethnographes de la deuxième moitié du XIXe siècle l'adoptent et l'élargissent en ajoutant à cette lignée les aïeules grecques et sarrasines, composant avec les romaines, les deux autres tiers du sang arlésien.
Dans sa " Venus d'Arles ", le félibre Théodore Aubanel chante son amour pour une Venus de chair brune, au sang chaud. Débarrassée du marbre qui la rigidifiait, elle" embellit les filles et les garçons qui portent son nom".
Et Estelle Mathé-Rouquette - dans le catalogue " Arlésiennes : le mythe " - de conclure : " Cette statue a laissé aux hommes de la ville une absence, dont ils ont fait un mythe, et l'assurance d'une perpétuelle renaissance par le sang, qui, de ses veines imaginées, a coulé dans celles des Arlésiennes. "

Fig. 11 : A. Dumas, Arlésienne à la Vénus (1858), Arles, Museon Arlaten © Cliché : B. Delgado

Fig. 12 : A. Dumas, Arlésienne devant l'amphithéâtre (vers 1860), Museon arlaten, Arles © Cliché : B. Delgado

Fig. 13 : Alexandre HESSE, Portrait de jeune arlésienne (vers 1842), Museon arlaten, Arles © Cliché B. Delgado

Fig. 14 : François Huard, Les Fouilles de la Tour de Roland (vers 1843), Museon arlaten, Arles © Cliché JL Mabit


En savoir plus : Sélection de références

- Formige J., " Note sur la Vénus d'Arles ", in Comptes-rendus de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, t. 39, 1911, pp. 658-664.

- Bourgeois B., " La Vénus d'Arles ou les métamorphoses d'un marbre antique ", in Actes du 4e colloque international de l'ARAAFU, Paris, 1995, pp. 125-137.

- Bourgeois B., " De la Vénus d'Arles à la Guerre du Golfe : l'apport du moulage entre restauration et destruction ", Colloque de Soissons, 1993

- Mathe-Rouquette, Arlésienne : le mythe ? Catalogue de l'exposition Museon arlaten, Arles, 1999, p. 51-62

- Serena-Allier D., " Les collections de l'Hôtel de ville ", in Le Goût de l'Antique, quatre siècles d'archéologie arlésienne, Arles, 1990, pp. 39-43.

- Venture R., " L'affaire de la Vénus ", in Le Goût de l'Antique, quatre siècles d'archéologie arlésienne, Arles, 1990, pp. 44-45.