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L'art de Praxitèle, un moment dans l'évolution de la statuaire grecque : La Sculpture du corps féminin

(Maryvonne Cassan, professeur d'histoire des arts, mis à disposition au musée du Louvre)


Objectifs
- Comprendre l'évolution de la représentation de la femme (mortelle ou déesse) de l'époque archaïque à l'époque hellénistique
- Etudier la place de Praxitèle dans cette évolution
- Etudier l'importance d'une des innovations capitales de Praxitèle : le nu féminin
- Six oeuvres ont été choisies pour retracer l'évolution des systèmes de représentation en mettant l'accent sur : la Dame d'Auxerre, la Coré du groupe de Chéramyès, la Statue d'Athéna dite Pallas de Velletri, l'Aphrodite dite Vénus genitrix, l'Aphrodite de Cnide, l'Aphrodite dite Vénus de Milo.

On peut comparer :
- les dimensions
- les proportions des différentes parties du corps
- le modelé ou son absence
- la géométrisation des formes et ou leur rendu naturaliste
- le traitement du vêtement
- les effets décoratifs du vêtement, de la chevelure
- le visage
- la représentation du corps nu
- les attributs ou accessoires
- les notions de réalisme et d'idéalisation

On pourra mettre en évidence au delà des différences les points communs de toutes ces représentations féminines dans la Grèce ancienne : la jeunesse, l'idéalisation, l'absence d'expression.


Fig. 1 : Dame Auxerre
Seconde moitié du VIIe siècle av. J.-C., Calcaire, Musée du Louvre, Ma 3098
Cette statuette a été exécutée en Crète vers 640-620 av. J.- C. On ignore sa signification. Il n'est pas certain que ce soit une image de déesse mais elle provient sans doute d'une nécropole.
Elle montre une femme en position debout, le bras gauche le long du corps, le droit sur la poitrine.
L'oeuvre frappe par la raideur de la posture soulignée par le vêtement qui couvre la totalité du corps et qui transforme le bas en colonne. La frontalité rigoureuse, le visage triangulaire encadré d'une épaisse chevelure qui évoque les perruques égyptiennes soulignent le traitement géométrique de la figure humaine et une certaine parenté avec la statuaire égyptienne ancienne. De même, on note une disproportion entre les différentes parties du corps : la tête large, le buste petit, le bas du corps allongé, les mains imposantes, les bras courts et les pieds larges. Pour représenter les formes, le sculpteur anonyme a incisé le calcaire. La jupe est ornée d'incisions géométriques. Les traces de polychromie (rouge, noir et bleu) prouvent que la statue était peinte comme toutes les statues grecques.
Cette oeuvre de l'époque archaïque appartient au style "dédalique" du nom du sculpteur mythique Dédale, considéré comme le premier sculpteur grec. Elle constitue donc un des témoignages anciens de la statuaire de l'époque archaïque.

Fig. 2 : Coré du groupe de Chéramyès
VIe siècle av. J.-C., Musée du Louvre, Ma 686
Datée des années 570-560 av. J.-C., cette statue acéphale en marbre a été trouvée dans le sanctuaire d'Héra de l'île de Samos. Il s'agit d'une statue votive qui appartenait à un groupe sculpté ; elle porte une dédicace qui nous permet de savoir qu'elle a été offerte à la déesse par Chéramyès, un aristocrate ionien.
Stylistiquement, elle fait partie de ces statues féminines appelées Coré caractéristiques de l'époque archaïque. Il s'agit de la représentation de femmes debout toujours vêtues. On remarque la raideur de la posture, un bras le long du corps et l'autre que l'on devine replié. Il est possible qu'elle ait tenu une clef aujourd'hui perdue dans sa main droite, la clef du temple d'Héra. La stricte frontalité et la forme cylindrique du bas du corps relève de la même simplification des volumes que l'on rencontrait déjà dans la Dame d'Auxerre. Comme toutes les statues de l'époque archaïque, elle obéit à des codes de représentation.
En revanche, le traitement raffiné du vêtement, la virtuosité dans le rendu des plis du chiton (tunique) et de l'étoffe plus épaisse de l'himation (le manteau) porté drapé en travers de la poitrine sur lequel est posé un voile trahissent les recherches nouvelles des sculpteurs et un intérêt discret pour le corps. Ce souci des effets décoratifs ne nous est que partiellement connu car l'oeuvre était peinte comme les traces de polychromie l'attestent.

Fig. 3 : Statue d'Athéna dite Pallas de Velletri
Copie romaine (Ier siècle ap. J.-C.) d'après un original daté vers 430 av. J.-C., Musée du Louvre, Ma 464
Cette statue colossale (3, 05m) a été trouvée à Velletri en Italie, dans les ruines d'une villa romaine au XVIIIe siècle. L'original est attribué à Crésilas, sculpteur crétois célèbre pour être l'auteur du portrait de Périclès. Cette oeuvre en marbre reproduit un original en bronze de même dimension dont on ignore la destination.
La statue montre la déesse Athéna (Minerve ou Pallas) reconnaissable à son casque, à l'égide bordée de serpents et ornée au centre de la tête de la méduse. Datant de l'époque classique, elle constitue un bon repère dans l'évolution de la statuaire : comme les statues d'Athéna de cette époque, par exemple la colossale Minerve Ingres, l'attitude reste encore hiératique et solennelle et empreinte "d'une grandeur austère". Mais les proportions du corps humain sont respectées et rappellent que l'oeuvre est contemporaine de la mise au point du canon par Polyclète (vers 440 av. J.-C.). Le visage traité comme un ovale régulier est idéalisé mais reste très sévère. Le traitement du vêtement, la longue tunique (le peplos) et l'himation drapé sur les hanches sont caractéristiques de l'époque et rapprochent l'oeuvre de la célèbre Athéna Parthénos de Phidias, une statue chryséléphantine couverte d'or et d'ivoire, haute de douze mètres de haut.
Le traitement du corps, le mouvement des bras et le décalage entre la tête légèrement penchée et le buste ainsi que le léger mouvement des jambes, animent la statue qui échappe ainsi à la stricte frontalité de époque archaïque. Qualifiée par Flaxman de "beauté simple et sévère", elle fut largement admirée au XIXe siècle. Elle est caractéristique du premier style classique.

Fig. 4 : Aphrodite dite Vénus genitrix
Copie romaine d'après un original de Callimaque créé vers 400 av. J.-C., Musée du Louvre, Ma 525
Cette oeuvre est une réplique romaine en marbre d'un original en bronze créé par Callimaque à la fin du Ve siècle av. J.-C. Aphrodite, la tête légèrement penchée, retient d'une main son vêtement tandis que de l'autre elle porte une pomme, allusion au jugement de Pâris qui la choisit pour sa beauté aux dépens d'Héra et d'Artémis.
L'oeuvre frappe par le traitement du corps féminin : la nudité est à peine voilée par un vêtement au drapé mouillé qui le révèle plus qu'il ne le cache et qui souligne la sensualité de la déesse de l'amour. Le visage gracieux mais encore austère "garde le souvenir de Phidias". De Polyclète, cette statue montre le contrapposto c'est-à-dire l'inclinaison inversée des épaules et des hanches. Aphrodite est représentée dans une attitude souple, en appui sur une jambe tandis que l'autre est légèrement fléchie. Le corps en mouvement est très éloigné du hiératisme des premières statues grecques. Les proportions du corps dont la hauteur totale est sept fois celui de la tête respectent le canon mis au point par Polyclète. Elles concourent à l'idéalisation de la beauté.
Cette oeuvre est exemplaire de la révolution esthétique de la fin du Ve siècle : les épaules et les seins dénudés, les draperies collantes révèlent la sensualité du corps féminin. Ce style parfois qualifié de classique fleuri ou maniériste a été mis en rapport avec l'apparition d'une nouvelle sensibilité notamment pour la femme (Euripide, Aristophane) dans un contexte historique précis : celui de la fin de la guerre du Péloponnèse.

Fig. 5 : Aphrodite de Cnide,
Copie d'époque hellénistique ou romaine et impériale d'un original de Praxitèle, Musée du Louvre, Br 4419
Cette statue est la plus célèbre de l'Antiquité grecque et romaine avec le Zeus d'Olympie. Il s'agit du premier nu féminin en ronde bosse. Sa célébrité se mesure au nombre de copies et répliques datant de l'époque hellénistique et romaine (environ deux cents recensées) mais aussi aux nombreuses mentions dans les sources antiques. Parmi elles, celle de Pline l'Ancien est essentielle : il raconte en effet que Praxitèle avait réalisé deux Aphrodite, l'une vêtue, l'autre nue et qu'il les proposa au même prix aux habitants de Cos qui choisirent le modèle drapé. Ceux de Cnide, eux, acquirent l'Aphrodite nue ce qui leur valut une immense célébrité (Voir les documents ressources). Les sources anciennes précisent qu'elle était une statue de culte. Elles indiquent aussi que Phryné aurait servi de modèle. La statue de Praxitèle était en marbre de Paros sans doute colorée par le peintre Nicias. Elle devait porter un bracelet sur son bras gauche.
La copie en bronze du musée du Louvre nous montre la déesse debout et nue, sa main droite portée devant son sexe, l'autre main tenant un vêtement posé sur un vase (ici une amphore) placé à la gauche de la déesse. L'image évoque le bain. Cette statue est le premier nu féminin complet ce qui constitue une "innovation iconographique capitale" (Praxitèle, catalogue de l'exposition, 2007).
Le corps sinueux en appui sur la jambe droite, la jambe gauche fléchie montre des épaules qui s'inclinent fortement à l'inverse des hanches obéissant à cette figure que l'on nomme le contrapposto. On remarque aussi le chiasme du torse. On "retrouve la correspondance croisée entre la jambe droite qui porte le poids du corps et le bras gauche qui agit " (Praxitèle, catalogue de l'exposition, 2007). Les effets de la composition ont été élaborés en fonction d'une vue de face. "Par ses lignes elle appartient au répertoire classique post-polyclétéen. " (Praxitèle, catalogue de l'exposition, 2007)
Il faut rapprocher cette statuette d'une tête conservée au Louvre la Tête Kaufmann qui est proche de l'original de Praxitèle et qui donne à voir une autre innovation du sculpteur athénien. Cette oeuvre en marbre montre en effet un visage à l'ovale pur et aux traits fins et estompés, le regard perdu, les cheveux ondoyants partagés par une raie médiane et réunis en chignon. Par sa "noble douceur " cette tête fait époque et on a évoqué aussi à son sujet des "effets de sfumato qui estompent les traits d'un voile subtil" (Praxitèle, catalogue de l'exposition, 2007). Praxitèle dans cette oeuvre conjugue majesté et sensualité et se révèle comme le "maître d'une sensualité douce et d'une intériorité sourde" (Praxitèle, catalogue de l'exposition, 2007).

Fig. 6 : Aphrodite dite Vénus de Milo
Fin du IIe siècle av. J.-C., Musée du Louvre, Ma 399
La Vénus de Milo est une des oeuvres les plus célèbres du musée du Louvre. Cette statue en marbre de grandes dimensions (plus de deux mètres) montre la déesse (sans doute Aphrodite ou Amphitrite) dénudée aux trois quarts le bas du corps enveloppé d'une étoffe drapée qui glisse sur les hanches. Cette oeuvre est caractéristique des recherches des sculpteurs de l'époque hellénistique. Par l'équilibre des formes, la beauté idéalisée du visage, l'absence d'expression, elle se rattache au classicisme du Ve siècle tandis que le traitement de la coiffure et le modelé du nu sont inspirés de Praxitèle. Cette oeuvre est considérée comme une recréation classicisante de l'époque hellénistique. Cependant sa composition hélicoïdale qui multiplie les points de vue est une des caractéristiques des recherches des sculpteurs de cette époque tout comme son canon allongé hérité de Lysippe. C'est en effet à la fin du IVe siècle que ce sculpteur modifia le canon mis au point par Polyclète. Les proportions du corps humain sont modifiées : la tête ne représente que un huitième du corps ce qui confère à l'oeuvre une allure élancée.


En savoir plus : Sélection de références

- Praxitèle, sous la direction d'Alain Pasquier et de Jean-Luc Martinez, catalogue de l'exposition Musée du Louvre/Somogy, 2007

- Haskell F., Penny N., Pour l'amour de l'Antique - La Statuaire gréco-romaine et le goût européen, Hachette, Paris, 1999.

- Holtzmann B, Pasquier A., L'Art grec, Manuel de l'Ecole du Louvre, Paris, 1998.

- Rolley Claude, La Sculpture grecque, 2 tomes, Paris, 1999

- Pasquier A., La Vénus de Milo et les Aphrodites du Louvre, Paris, 1985

- Pasquier A., Le Louvre : les Antiquités grecques étrusques et romaines, éditions Scala, Paris, 1998

- Site Education.Louvre.fr. : Les notices des oeuvres citées et le parcours de visite : la sculpture grecque : Les Grecs à la conquête du corps humain.