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Pline Histoire Naturelle, livre XXXVI :




"En parlant des statuaires, nous avons indiqué l'époque de Praxitèle (XXXIV, 19) qui, par la gloire de ces ouvrages de marbre, a surpassé jusqu'à lui-même. Il y a des ouvrages de lui à Athènes dans le Céramique. Mais avant toutes les statues non seulement de Praxitèle, mais de l'univers entier, est sa Vénus, qui a fait entreprendre à bon nombre de curieux le voyage de Cnide. Il en avait fait deux ; il les vendit ensemble : l'une était vêtue, et par cette raison fut choisie par les habitants de Cos, qui avaient le choix ; la seconde ne coûtait pas plus cher, mais ils crurent faire preuve de sévérité et de pudeur. Les Cnidiens achetèrent la statue rebutée : la différence est immense pour la réputation. Dans la suite le roi Nicodème voulut l'acheter des Cnidiens, promettant de payer toute leur dette publique, qui était énorme ; mas ils aimèrent mieux tout endurer, et avec raison ; car par cette figure Praxitèle a fait la gloire de Cnide. Le petit temple où elle est placée est ouvert de tous côtés, afin que la figure puisse être vue en tous sens, la déesse même y aidant, à ce qu'on croit. Au reste, de quelque côté qu'on la voie, elle est également admirable. Un individu, dit-on, se passionna pour elle, se tint caché pendant la nuit dans le temple, et se livra à sa passion, dont la trace est restée dans une tache. Il y a aussi à Cnide d'autres statues de marbre d'artistes célèbres : un Bacchus de Bryaxis, un autre Bacchus de Scopas, et une Minerve du même ; et ce qui ne prouve pas le moins en faveur de la Vénus de Praxitèle, c'est qu'au milieu de tels ouvrages on la cite seule. De Praxitèle est encore un Cupidon reproché à Verrès par Cicéron, celui-là même pour lequel on faisait le voyage de Thespies, et qui est maintenant dans les écoles d'Octavie (XXXV, 37). Du même est un autre Cupidon nu, placé à Parium, colonie sur la Propontide, aussi beau que la Vénus de Cnide, et outragé comme elle. Cette figure produisit le même effet sur les sens d'Alcétas de Rhodes, et une semblable trace d'amour y a été laissés. A Rome on possède de Praxitèle Flore, Triptolème, Cérès, dans les jardins Serviliens ; les statues du Bon Succès (XXXIV, 19) et de la Bonne Fortune, dans le Capitole ; des Ménades et celles qu'on appelle Thyades, des Caryatides, dans le même lieu ; un Silène, dans les monuments d'Asinius Pollion, un Apollon, un Neptune".


Athénée Livre XIII



"Parlons maintenant de Phryné de Thespies.
Accusée de meurtre par Euthias, elle fut finalement acquittée. D'après Hermippos, la chose irrita tellement cet homme de loi qu'il ne plaida plus après cette affaire.
Hypéride, l'avocat de Phryné, n'ayant pas réussi à émouvoir les juges et se doutant qu'ils allaient la condamner, décida de la mettre bien en vue, déchira sa tunique et dévoila sa poitrine à tout le monde. À ce moment, il tint des arguments si pathétiques que les juges, pris soudain d'une frayeur superstitieuse vis-à-vis d'une servante et prêtresse d'Aphrodite, se laissèrent gagner par la pitié et s'abstinrent de la mettre à la mort. Toutefois, après son acquittement, un décret fut voté, par lequel aucun défenseur ne saurait user de sensiblerie et qui, en outre, interdisait à tout personne accusée d'être regardée par ses juges.
Il faut bien avouer que la splendeur de Phryné résidait dans ce qu'elle ne montrait pas. C'était impossible de la voir nue, car elle était toujours vêtue d'une tunique qui dissimulait les charmes de son corps ; de plus, elle n'allait jamais aux bains publics.
Un jour, cependant, à la grande assemblée des Eleusines et aux fêtes de Poséidon, elle ôta son manteau devant tous les Grecs, laissa tomber ses longs cheveux et entra dans l'eau dans le plus simple appareil.
Elle servit de modèle à Apelle quand il peignit son Aphrodite Anadyomène, mais aussi au sculpteur Praxitèle, son amant, qui sculpta l'Aphrodite de Cnide à son image ; et, sur le socle de son Éros, qui se trouve au pied de la scène du théâtre, il grava ces vers :
" Praxitèle a fait cet Éros en le tirant de son propre coeur ; il m'a donné à Phryné : je suis moi-même mon propre salaire. Et si je jette des charmes, ce n'est plus avec mes flèches, mais avec mon regard de braise ".
Plus tard, Praxitèle demanda à Phryné de choisir une de ses statues, curieux de savoir si elle préférait, soit son Éros, soit son Satyre, celui qui se dressait dans la rue des Trépieds. Or elle prit l'Éros qu'elle offrit plus tard comme ex-voto à Thespies.
Les amis de Phryné firent couler une statue d'or à son effigie qu'ils érigèrent ensuite à Delphes, au sommet d'une colonne en marbre du Pentélique, sculptée par Praxitèle. Quand le cynique Cratès découvrit l'oeuvre, il s'écria que c'était un monument dressé au laisser-aller de la Grèce. Cette statue, que l'on peut encore voir entre celle d'Archidamos, roi de Lacédémone, et celle de Philippe, le fils d'Amyntas, porte la dédicace suivante : " Phryné, fille d'Épiclès de Thespies " ; c'est en tout cas ce que nous dit Alcétas dans le deuxième livre de son ouvrage consacré aux offrandes delphiques".


Pausanias, Description de l'Attique



"En quittant le Prytanée, il y a une rue qu'on appelle la rue des Trépieds; et voici de quoi l'endroit tient son nom : il y a des temples de taille juste suffisante pour soutenir des trépieds de bronze, au milieu desquels sont des oeuvres d'art qui méritent tout à fait d'être mentionnées. Il y a en effet un satyre, dont Praxitèle était dit-on très fier; et comme Phryné lui demandait un jour de lui donner celle de ses oeuvres qu'il trouvait la plus belle, lui qui était son amant accepta de la lui donner, mais ne voulut pas lui révéler ce qui lui paraissait le plus beau. Alors un serviteur de Phryné fit irruption en disant à Praxitèle qu'une grande partie de ses oeuvres était en train de périr, car le feu avait pris à l'atelier, mais que toutes néanmoins n'avaient pas disparu ; Praxitèle aussitôt s'élança pour sortir, en disant que rien n'existait plus de la peine qu'il s'était donnée si la flamme s'était emparée et du Satyre et de l'Eros; Phryné lui dit de se calmer et de rester là : il n'avait subi aucun dommage, mais il avait été amené par ruse à reconnaître les plus belles de ses oeuvres. Et voilà comment Phryné choisit l'Eros."


Article Phryné "Grand dictionnaire universel du XIXe siècle"



" PHRYNE, célèbre courtisane grecque, née à Thespie (Béotie) vers l'an 328 av. J. C. Étant enfant, elle vendait des câpres, puis elle se fit joueuse de flûte à Athènes, et comme elle offrait une perfection de formes rare même en Grèce, elle tint bientôt le premier rang parmi celles qui, de son temps, faisaient trafic de leurs charmes. Praxitèle la prit pour modèle et pour maîtresse, et l'amoureux sculpteur, fit, d'après elle, une statue d'or qui fut placée dans le temple de Delphes […] La perfection des formes de la belle courtisane était telle […] que les plus magnifiques produits de l'art grec […] ne la dépassaient pas […]. Une seule fois, aux fêtes de Neptune, à Eleusis, elle se baigna dans la mer ; puis, à la vue de tous les Grecs, elle sortit de l'eau, tordant ses cheveux humides […] Apelle se trouvait là, et d'après cette vision, il esquissa sa Vénus Anadyomène. Il est aisé de voir dans tout ceci le manège d'une femme habile, qui sait le prix de sa beauté. Elle se faisait payer, et fort cher […] Elle était si riche […], qu'elle proposa de rebâtir à ses frais Thèbes, ruinée par Alexandre, à condition qu'on placerait sur la principale porte cette inscription : " Alexandre l'a détruite, Phryné l'a rebâtie ". Sa proposition ne fut pas acceptée. C'est une légende invraisemblable. Une autre […] nous montre l'hétaïre accusée d'impiété, traduite devant le tribunal des héliastes et, au moment où elle allait être condamnée, sauvée par le beau geste de son avocat, Hypéride […]. Le défenseur, d'un mouvement rapide et imprévu, enleva le voile, le peplos qui drapait sa cliente, et montra toutes les splendeurs secrètes de sa beauté. A la vue des charmes qui servaient de modèle aux plus grands artistes, les juges furent saisis comme d'une appréhension religieuse et ne voulurent pas que l'on portât la main sur cette image des déesses. […] Elle a inspiré à M. Gérôme un tableau très connu… "


Auguste Rodin , L'art, entretiens réunis par Paul Gsell, Grasset, Paris, 1911
in Potvin Manon, Bresc-Bautier, La Sculpture sous tous ses angles, Dossier enseignants, Musée du Louvre, Paris, 1995, p 48



Visite au Louvre
"Quelques jours après, Rodin m'invita à l'accompagner au Musée du Louvre. Il me conduisit dans la salle des moulages et, me désignant le Diadumène de Polyclète dont le marbre est au British Museum :
-"Vous pouvez observer ici, me dit-il, les quatre directions que j'avais indiquées l'autre jour dans ma maquette de terre. Considérez, en effet, le côté gauche de cette statue : l'épaule est légèrement en avant, le pied en arrière; et de là résulte la douce ondulation de l'ensemble. Maintenant remarquez le balancement des niveaux : niveau des épaules plus bas vers celle de droite ; niveau des hanches plus bas vers celle de gauche. Notez l'aplomb qui, passant par le milieu du cou, tombe sur la malléole interne du pied droit ; notez la pose libre de la jambe gauche. Enfin constatez de profil la convexité de la face antérieure de la statue...."
Quittant les moulages, il me mena devant le torse divin du Pèriboétos (le Satyre au repos) de Praxitèle :
-"Fuite des épaules vers celle de gauche, fuite des hanches vers celle de droite ; niveau des épaules plus haut vers celle de droite, niveau des hanches plus haut vers celle de gauche."...
Puis devant la Vénus de Milo:
-"Voilà la merveille des merveilles! Un rythme exquis, très semblable à celui des statues que nous venons d'admirer ; mais, de plus, quelque chose de pensif ; car ici nous ne trouvons plus la forme convexe ; au contraire, le torse de cette déesse se courbe un peu en avant comme dans la statuaire chrétienne. Pourtant rien d'inquiet ni de tourmenté. L'oeuvre est de la plus belle inspiration antique : c'est la volupté réglée par la mesure, c'est la joie de vivre cadencée, modérée par la raison".