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Canon et idéal du corps dans la sculpture occidentale

(Laurence Brosse professeur d'arts plastiques, mis à disposition au musée du Louvre)


Confronter l'idéal de beauté mis au point dans la statuaire grecque à celui élaboré dans la sculpture occidentale d'autres époques.
On comparera trois sculptures de foyers géographiques et d'époques différentes :
- La Grèce de la fin du Classicisme avec L'Aphrodite de Cnide de Praxitèle
- La Souabe du Gothique tardif avec la Sainte Marie-Madeleine de Gregor Erhart
- La France du XVIIIe siècle avec la Diane Chasseresse de Jean Antoine Houdon
On pourra compléter la comparaison en étudiant une oeuvre de la période néoclassique, une sculpture de Bertel Thorvaldsen ou d'Antonio Canova.

1. Dans un premier temps, demander aux élèves de classer chronologiquement ces statues et d'expliquer leur classement permettra de connaître leurs représentations liées aux oeuvres.

2. Ces oeuvres servent ensuite de support à un questionnement relatif à la représentation du corps :
échelle : voir le rapport à notre propre corps, une figure humaine dite " grandeur nature " a une dimension en hauteur qui varie entre 160 et 180 cm.
pose : prendre la pose pour en ressentir les points d'appui, tracer la ligne des épaules et celles des hanches, trouver où tombe l'aplomb, comprendre le choix du matériau pour la traduction de la pose, la décrire avec un vocabulaire spécifique.
point de vue : définir la place du spectateur, existe-t-il une vue privilégiée ?
modelé : comprendre les implications du matériau, la transition des formes par le jeu de l'ombre et lumière et le rôle éventuel de la couleur dans le rendu les carnations.
proportions : découvrir l'ensemble des règles servant à déterminer les proportions idéales du corps. Ces rapports sont exprimés soit par des fractions de la longueur du corps, soit par des multiples d'un module permettant de reconstituer chaque partie du corps.

3. Plus largement, on abordera la question de l'imitation et des solutions pour accéder à la beauté : par l'imitation de la nature, en suivant des normes mathématiques, une règle ? Le réalisme issu de l'observation d'un modèle vivant et de la véracité de détails anatomiques peut-il s'allier à l'idéal ?

Fig. 1 : Torse féminin du type l'Aphrodite de Cnide
IIe siècle ap. J.-C. ?, d'après l'Aphrodite de Cnide de Praxitèle, env. 365-361 av. J.C.
Ce torse appartenait à une réplique de l'Aphrodite de Cnide qui représentait la déesse se préparant aux ablutions rituelles. La nudité complète est une innovation de Praxitèle en tant qu'élément primordial de la composition. L'Aphrodite de Cnide a connu une grande célébrité dans l'Antiquité comme en témoignent notamment les nombreuses répliques du répertoire de la sculpture hellénistique et romaine. Elle est évoquée par Pline l'Ancien, auteur latin du Ier siècle après J.-C., dans son Histoire Naturelle qui la cite comme oeuvre qui surpasse non seulement celles du sculpteur mais celles de la terre entière. D'après un auteur grec du IIIe siècle après J.-C, Athénée, Phryné, courtisane et amie du sculpteur aurait servi de modèle.
échelle : grandeur nature
pose : " Le torse présente la taille, l'attitude et la pondération (équilibre harmonieux entre les masses) des copies les plus complètes de l'Aphrodite de Cnide. Le corps nu y est légèrement penché vers l'avant, l'épaule gauche exhaussée. Les cuisses se serrent l'une contre l'autre, épousant étroitement leurs surfaces et rapprochant les deux genoux. Le poids du corps repose sur la jambe droite, d'où le haut niveau et la forte saillie de la hanche du même côté : le bassin s'incline en sens inverse des épaules. " Extrait de Praxiètle, catalogue de l'exposition, sous la direction d'Alain Pasquier et Jean-Luc Martinez.
Le poids du corps repose sur une jambe, appelée jambe engagée, libérant ainsi l'autre jambe qui se plie au genou. Cette formule, appelée contrapposto apparaît au Ve siècle av. J.-C. et aura une longue postérité.
point de vue : Selon les témoignages de Pline et de Lucien qui évoquent la présentation de l'oeuvre, l'Aphrodite de Cnide était destinée à être vue de tous côtés.
modelé : L'original était en marbre de Paros. Praxitèle a choisi ce matériau, de préférence au bronze pourtant plus recherché, afin d'exploiter ses qualités esthétiques qui permettent d'évoquer davantage la texture de la peau. Le corps est représenté de manière charnelle, il incarne ainsi le désir physique indissociable d'Aphrodite, déesse de l'amour. La statue originale était colorée mais on ignore comment les carnations étaient rendues. Pline l'Ancien nous apprend que c'est le peintre Nicias qui apportait la polychromie aux oeuvres de Praxitèle. Les recherches sur la couleur dès la fin du Ve siècle av. J.-C. sont indissociables de la mimèsis grecque : la peinture et la sculpture comme imitation parfaite de la nature.
proportions : Praxitèle applique au nu féminin les règles structurelles du canon grec lié à la perception visuelle du modèle vivant. Le canon grec est définit par Polyclète d'Argos dans un traité théorique (disparu) intitulé Le Canon et dont les statues du Doryphore et du Diadumène (vers 430) allaient être des illustrations. C'est à partir d'un module - la phalange d'un doigt - que l'artiste trouvera par rapports de proportions les mesures principales du corps. La tête constitue l'unité de mesure : 7 têtes pour la hauteur totale, une pour mesurer la distance entre les seins, une autre des seins au nombril, une autre du nombril à la division des jambes.

Fig. 2 : Sainte Marie-Madeleine
vers 1510-1520, Gregor Erhart
La sainte pécheresse est complètement nue ; son corps n'est pas caché par ses longs cheveux comme cela était le cas traditionnellement, selon l'interprétation gothique du thème iconographique.
échelle : 1,77m grandeur nature
pose : La hanche et l'épaule droites sont rejetées en arrière et la tête inclinée vers le côté opposé. Le poids du corps repose sur la jambe gauche. La figure hanchée évoque un contrapposto classique. L'aplomb tombe sur la malléole du pied de la jambe d'appui. La pose pivotante fait tourner le corps selon une ligne ondoyante qui évoque l'extase et la sensualité de la sainte.
point de vue : Destinée à être vu de tous côtés, cette statue cultuelle était suspendue, accompagnée d'anges, dans une structure ovale à la voûte d'une église (peut-être l'Ancienne église Sainte Marie-Madeleine du couvent des dominicains d'Augsbourg)
modelé : Le bois peint rend la carnation pâle et raffinée ; le visage présente un mélange d'idéalisation et d'observation de la réalité anatomique : face large et charnue, front haut et bombé, nez droit, lèvres fines et ourlées, chevelure d'or.
proportions : La plénitude des formes est contraire à la représentation habituelle du nu féminin à la fin de l'époque médiévale (membres grêles, buste étroit, poitrine menue, taille haute et ventre proéminent). Le corps est charnel, harmonieux et se rapproche de la moyenne scientifique de la hauteur humaine : le nombre de têtes contenues dans la hauteur total du corps est de 7 têtes 1/2 . Cette vision nouvelle de la beauté féminine est inspirée par les recherches novatrices de la Renaissance en Allemagne, notamment de Dürer " la conception de ce nu féminin aux proportions harmonieuses dans l'esprit de la Renaissance s'accorde ainsi parfaitement avec l'expression du contenu spirituel de l'oeuvre idéalisée selon la tradition gothique " Sophie Guillot de Suduiraut.

Fig. 3 : Diane Chasseresse
1790, Jean Antoine Houdon
Jusqu'à la Diane Chasseresse de Houdon, le modèle iconographique des représentations de Diane sculptée était celui du marbre antique acquis par François 1er. Cette Diane chasseresse portait une tunique. Houdon introduit une innovation en la représentant complètement nue.
échelle : 1,92m plus grande que nature
pose : le mouvement de la marche ou même de la course est évoqué par un point d'appui unique : l'extrémité du pied. Le corps est porté en avant et l'aplomb tombe à l'extrémité du pied. Le bronze permet une station sur un pied (les versions en marbre qu'a réalisées Houdon de cette statue comportent des étais le long de la jambe destinés à assurer sa stabilité).
point de vue : destinée à être vue de tous côtés, toutes les vues apportent un détail signifiant du corps.
modelé : Même si le sculpteur a fait des études d'après modèle vivant, les lignes du corps sont épurées. Le visage est idéalisé. Quand le Louvre acquiert la statue en 1829, le naturalisme anatomique de la fente vulvaire sera censurée et rebouchée.
proportions : Figure emblématique du XVIIIe siècle, Diane est svelte et légère. L'allongement du canon féminin est visible : le nombre de têtes contenues dans la hauteur total du corps est de 8 têtes. Les seins sont menus et les membres longs et fuselés. La taille est fine et selon certains critiques, la Diane de Houdon s'éloignerait de l'idéal antique et aurait " porté un corset " comme une coquette.
" L'oeuvre de Houdon représente un idéal féminin s'équilibrant entre vérisme anatomique et pureté linéaire : ce fut un point de perfection avant la conception de Canova qui allait définir pour le néoclassicisme européen un vocabulaire différent, plus intellectuel et influencé par le dessin. La Diane de Houdon est être de chair et création artistique, femme et divinité. " Guilhem Scherf.



En savoir plus : Sélection de références

http://education.louvre.fr
Sur le site réservé aux enseignants, consulter les notices des oeuvres citées.

Publications :
- Praxitèle, sous la direction d'Alain Pasquier et Jean-Luc Martinez, Catalogue de l'exposition, coéd. Musée du Louvre Éditions / Somogy, 2007.
- Barbillon C., Les Canons du corps humain au XIXe siècle : l'art et la règle, Éditions Odile Jacob, Paris, 2004.
- Clark K., Le Nu, Éditions Hachette, Paris, 1969.
- Guillot de Suduiraut S., Gregor Erhart, Sainte Marie-Madeleine, Collection Solo, Paris, 1997, n 6.
- Scherf G., Houdon. Diane chasseresse, Éditions de la Réunion des musées nationaux, Paris, 2000.
- Wittkower R., Qu'est-ce que la sculpture ? Principes et procédures, de l'Antiquité au XXe siècle, Edition Macula1977.