Prologue : La peinture vénitienne au milieu du XVIe siècle
Titien (Tiziano Vecellio) né à Pieve di Cadore, dans les Dolomites, s’est formé Venise auprès des Bellini et de Giorgione. Il acquiert rapidement une grande renommée dès 1520 à Venise et rapidement dans toute l’Italie et en Europe.
Tintoret (Jacopo Robusti) est né à Venise vers 1518. Trente années le séparent de Titien qui aurait été quelques temps son maître. Une forte antipathie semble s’être installée entre eux et de nombreuses commandes ou promesses de commandes apparaissent comme des tentatives pour surpasser ou bloquer l’autre.
Véronèse (Paolo Caliari) naît en 1528 à Vérone. Il s’installe à Venise dans les années 1550 et reçoit très vite de très nombreuses commandes émanant d’églises ou du Palais Ducal, faisant ainsi de l’ombre à Tintoret. Il semble qu’il soit devenu le protégé de Titien voire son pion dans sa rivalité avec Tintoret.
Ces trois peintres vont se côtoyer pendant plus de trente ans, et après la mort de Titien en 1576, les deux autres se confronteront encore pendant une douzaine d’années. Mais s’ils sont rivaux, ils s’influencent, s’inspirent. Pour chacun de ces artistes, le travail des autres est un aiguillon qui exige une réaction. Ils ont énormément contribué au renouvellement de la peinture : l’utilisation de l’huile sur toile, accent mis sur la couleur de préférence au dessin, l’émergence du tableau de chevalet qui transforme non seulement la peinture vénitienne mais la peinture européenne toute entière.
La compétition entre artistes n’est pas seulement un phénomène vénitien puisqu’elle existait déjà quelques décennies auparavant à Rome, Florence et d’autres grandes villes ; cependant, dans le contexte vénitien, elle ne conduit pas à une dégradation esthétique mais plutôt à une émulation, un foisonnement d’idées. Les commandes émanant de nombreuses sources privées, ecclésiastiques et institutionnelles mais aussi de clients étrangers pleuvent. La société vénitienne n’octroie pas ses faveurs à un seul artiste mais préserve l’harmonie en répartissant les commandes officielles sur une concentration inégalée de peintres. Le format des tableaux et le fait qu’ils soient peints sur toile facilitent leur diffusion et de nombreux amateurs collectionnent leurs œuvres. Nombreux sont les critiques qui discourent sur les dernières productions de chacun. Le public peut comparer leurs travaux, talents et progrès.
Les Concours permettent de mieux cerner combien la rivalité entre les artistes fut une source essentielle de création et de renouvellement artistique. Que ce soit pour la Sala Grande de la Libreria Marciana, pour la Sala dell’Albergo de la Scuola Grande di San Rocco, pour l’autel des Marzeri de l’église San Giuliano, pour la salle du Grand Conseil au Palais des Doges, les commanditaires invitent les artistes à concevoir un dessin de présentation très achevé (un modello) sur un sujet prédéfini ; il semble que le modello peint n’ait été demandé que pour le concours du Paradis pour la Salle du Grand Conseil du Palais des Doges.
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Titien
, Danaé
Naples, museo di Capodimonte
(Inv Q134)
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Titien
, Paul III
Naples, museo du Capodimonte
(Inv Q 130)
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Tintoret
, Esther et Assuérus
Londres, The Royal Collection
(RCIN 407 247)
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Tintoret
, Autoportrait
Philadelphie, Museum of Art
(Inv 1983-190-1)
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Véronèse
, Christ guérissant une femme souffrant d'épanchements de sang
Londres, National Gallery
(Inv NG 931)
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Véronèse
, Tentation de Saint Antoine
Caen, musée des Beaux-arts
(Inv 6)
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Titien, Danaé
Naples, museo di Capodimonte
(Inv Q134)
Cette œuvre, commencée à Venise en 1544 et achevée à Rome dans les années 1545-1546 pour le cardinal Alessandro Farnèse, connut un vif succès même si Michel-Ange en la voyant regretta que la composition soit fondée sur la couleur et non sur le dessin ; il admira la manière et la couleur et reconnut le talent de Titien à imiter la vie (controffare il vivo).
© Scala / Ministero per i Beni e le Attività culturali, Florence
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Titien, Paul III
Naples, museo du Capodimonte
(Inv Q 130)
On raconte que lorsque Titien eut achevé ce portrait, on le mit sur une terrasse au soleil pour le vernir. La ressemblance avec le pape Paul III était telle que nombreux furent ceux qui le saluèrent en croyant que c'était lui. Si cette anecdote insiste sur le pouvoir illusionniste de la peinture de Titien, il faut voir ici tout autant son génie à rendre les traits du Pape que son talent à camper le personnage dans l'attitude de la dignité papale et à représenter le costume et ses ornements.
© Erich Lessing, Vienne
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Tintoret, Esther et Assuérus
Londres, The Royal Collection
(RCIN 407 247)
Tintoret a choisi de représenter un épisode de la vie d'Esther : le moment où la reine juive vient supplier son époux Assuérus de sauver les juifs de son empire ; Esther s'évanouit et Assuérus, grâce à l'intervention de Dieu, se lève pour réconforter la reine. Cette œuvre est marquée par un fort dynamisme et un grand sens du drame, style que Tintoret vient de mettre au point et qui le caractérise. Le tableau est malheureusement resté inachevé (le personnage enturbanné à droite est à l'état d'esquisse).
© 2008 Her Majesty Queen Elizabeth, Londres
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Tintoret, Autoportrait
Philadelphie, Museum of Art
(Inv 1983-190-1)
Le portrait émerge de l'obscurité avec des traits fortement soulignés par la lumière. Tintoret est jeune (entre 25 et 30 ans). Sa pose et son expression montrent qu'il est en train de se peindre : il regarde par-dessus son épaule dans un miroir tandis que son bras droit est tendu vers la toile. Apparaissent ici toute l'intensité et la fougueuse ambition de ce peintre telles qu'elles sont décrites par ses contemporains.
© Philadelphia Museum of Art / Graydon Wood
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Véronèse, Christ guérissant une femme souffrant d'épanchements de sang
Londres, National Gallery
(Inv NG 931)
Ce tableau peint à Vérone avant que Véronèse n'arrive à Venise représente un épisode des miracles du Christ lors duquel un femme souffrant de saignement est guérie en touchant la robe du Christ. Toutes les caractéristiques de Véronèse sont déjà présentes : une certaine assurance de la mise en scène, un épisode inondé de lumière, la richesse de la palette colorée et notamment les grandes taches de ton pastel, la stabilité et la grâce des corps.
© The National Gallery 2008, Londres
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Véronèse, Tentation de Saint Antoine
Caen, musée des Beaux-arts
(Inv 6)
C'est un cas unique dans l'œuvre de Véronèse où il plonge dans une sombre brutalité pour évoquer les tourments de saint Antoine. Dans l'iconographie italienne, le saint est confronté dans un premier temps à l'attaque de démons puis dans une autre scène, à la tentation du diable sous la forme d'une femme. Ici, Véronèse combine les deux moments : un démon mâle à la sculpturale musculature frappe le vieil homme tandis qu'une femme dévoilant ses attraits le griffe ; le saint Antoine s'accroche désespérément à son livre de prières. Les influences de Michel-Ange dans le traitement du corps du démon et de Giulio Romano dans la composition se font sentir.
© Musée des Beaux-arts de Caen / Martine Seyve
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