Entre sacré et profane
Les Pèlerins d’Emmaüs et la fête biblique
La fête biblique est l’un des grands thèmes de la seconde moitié du XVIe siècle. Titien, Tintoret, Véronèse mais aussi Bassano en ont tous peint de monumentaux exemples. La célébration du repas à Emmaüs fait écho à la Cène. C’est le moment, relaté par saint Luc, où le Christ voyageant avec deux pèlerins se fait reconnaitre en consacrant le pain et le vin. « Et leurs yeux s’ouvrirent et ils le reconnurent ».
Titien a réalisé de nombreuses versions de ce thème pour des commanditaires de sa génération. Celle conservée au musée du Louvre, reflète une attention portée à La Cène de Léonard de Vinci : une longue table horizontale, le Christ de face se détachant sur un fond de paysage scandé verticalement par une architecture, la pose d’un des pèlerins évoquant celle du Judas de Léonard. Titien choisit de représenter le moment où les deux pèlerins comprennent qui est le personnage qu’ils ont rencontré. C’est aussi pour lui l’occasion de restituer avec soin la nappe blanche aux nombreux plis, le tapis d’Orient et les objets sur la table (salière, carafe, verres, pain).
Le thème des Pèlerins d’Emmaüs a été très tôt traité par Tintoret. Dans une première version, il semble qu’il ait eu la volonté de défier son aîné sans avoir encore la capacité de ses ambitions ; mais, quelques années plus tard, dans la Dernière Cène, il reprend avec maestria ce qu’il avait tenté précédemment avec des poses pleines d’éloquences, un accent mis sur la simplicité et le quotidien, un clair obscur prononcé, une énergie vibrante.
Les Pèlerins d’Emmaüs de Véronèse conservé au musée du Louvre offre un registre très différent. Il semble que ce soit le premier d’une grande série de fêtes bibliques où se mêlent narration sacrée et portraits aristocratiques vénitiens même si le résultat n’est pas encore ici complètement abouti. A la différence de Titien et Tintoret, Véronèse choisit de représenter le moment où le Christ bénit le pain ; la composition évoque la Transfiguration de Raphaël avec un sentiment d’équilibre et d’harmonie.
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Titien
, Pèlerins d'Emmaüs
Paris, musée du Louvre
(Inv 746)
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Tintoret
, La Dernière Cène
Paris, église Saint-François-Xavier
(Inv FXA42/299)
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Véronèse
, Pèlerins d'Emmaüs
Paris, musée du Louvre
(Inv 146)
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Titien, Pèlerins d'Emmaüs
Paris, musée du Louvre
(Inv 746)
C'est ici une démonstration magistrale du talent de Titien tant dans la structure, la couleur, l'anatomie des personnages, leur gestuelle, le paysage et la nature morte. On reconnaît dans le disciple à droite du Christ le commanditaire Nicola Maffei, principal ministre de Frédéric II Gonzague de Mantoue.
© RMN / R. G. Ojéda
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Tintoret, La Dernière Cène
Paris, église Saint-François-Xavier
(Inv FXA42/299)
Tintoret met ici l'accent sur la simplicité et le quotidien dans un clair obscur prononcé à l'énergie vibrante ; la scène se passe dans une humble salle d'auberge où les apôtres vêtus d'habits grossièrement tissés, raccommodés sont installés de façon plus conviviale, autour d'une table carrée plutôt que derrière une longue table, dans des poses pleines d'éloquence.
© COARC / Roger-Viollet
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Véronèse, Pèlerins d'Emmaüs
Paris, musée du Louvre
(Inv 146)
Il s'agit d'un des premiers tableaux appartenant à la formidable série des grandes scènes de repas bibliques. Véronèse a choisi de représenter le moment où le Christ bénit le pain, entouré d'un portrait collectif de la famille aristocratique qui a commandé le tableau.
© RMN / Gérard Blot
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Entre sacré et profane
Portraits de famille et d’enfants
A la Renaissance, faire peindre le portrait de ses enfants est perçu comme une protection contre les hasards du destin. Les enfants adoptent le comportement, le costume et les bijoux de leurs parents, signe de continuité dans la vertu et l’élégance même s’ils sont peints avec l’innocence et l’expressivité propre à leur âge.
Si les enfants peints par Tintoret sont rares et plutôt vus comme des spectateurs dans des peintures narratives religieuses, Titien et Véronèse ont réalisé de nombreux portraits où le statut aristocratique est empreint d’humour et de spontanéité ; de même dans la peinture religieuse où ils n’ont pas hésité à utiliser les enfants comme contrepoint à la solennité d’une scène prenant plaisir à croquer leur énergie turbulente et leur tendresse.
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Titien
, Ranuccio Farnèse
Washington, National Gallery
(Inv 1952.2.11)
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Véronèse
, Livia da Porto et sa fille
Baltimore, The Walters Art Museum
(Inv 37-541)
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Véronèse
, Iseppo da Porto et son fils
Florence, Donation Contini Bonacossi
(Inv CB16)
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Titien, Ranuccio Farnèse
Washington, National Gallery
(Inv 1952.2.11)
Le jeune garçon de douze ans porte un manteau trop grand pour lui avec les insignes des chevaliers de Malte, en référence au fait qu'il était prieur de la propriété des chevaliers à Venise. Si la position et le costume le rapprochent des portraits d'adultes de Titien, le visage éveillé et le regard impétueux sont bien ceux d'un jeune garçon.
© Board of Trustees of the National Gallery, Washington
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Véronèse, Livia da Porto et sa fille
Baltimore, The Walters Art Museum
(Inv 37-541)
Venise est le grand centre des portraits de famille au XVIe siècle. Véronèse a su capter la spontanéité des élans juvéniles. La jeune fille, masquée en partie par sa mère protectrice, semble surgir pour dévisager de ses grands yeux innocents le spectateur. Le peintre a représenté avec soin les tissus de soie et la fourrure.
© The Walters Art Museum Baltimore
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Véronèse, Iseppo da Porto et son fils
Florence, Donation Contini Bonacossi
(Inv CB16)
Dans ce portrait d'Iseppo da Porto et son fils Adrien, pendant du portrait de Livia et sa fille, Véronèse s'est attardé sur la relation qui unit le père et son fils. Le jeune garçon joue avec la main dégantée de son père qui le protège et regarde sa soeur de l'autre côté de la fenêtre qui les séparait. La relation entre les parents et les enfants est très émouvante.
© Galerie des Offices / Bridgeman Art Library
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Entre sacré et profane
Tableaux de chiens
Vers le milieu du XVIe siècle apparaissent à Venise les premiers portraits de chiens traités comme des protagonistes et non plus comme des acteurs secondaires. L’inventeur de ce type de portrait serait Jacopo Bassano avec ses Deux chiens de chasse liés à une souche, daté de 1548-49. Dès la fin des années 1530, dans ses représentations de scènes sacrées, les animaux – et notamment les chiens – jouent un rôle particulièrement important. Bassano ne s’intéressent pas seulement à eux en tant que symboles de la fidélité et de la pureté mais il tend à faire d’eux un portrait fidèle en s’attachant à leur morphologie, au rendu du pelage, …
Ce type de représentation va fasciner les peintres vénitiens déjà très sensibles à l’étude attentive de la nature. Titien – et dans une moindre mesure Véronèse – va s’attacher à dépeindre avec le plus grand soin l’anatomie, le pelage mais aussi les expressions des animaux.
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Jacopo Bassano
, Deux chiens de chasse liés à une souche
Paris, musée du Louvre
(RF 1994-23)
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Titien
, Enfant avec des chiens
Rotterdam, musée Bojmans van Beuningen
(Inv 2569)
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Véronèse
, Cupidon avec deux chiens
Munich, Alte Pinakothek
(Inv n°29)
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Jacopo Bassano, Deux chiens de chasse liés à une souche
Paris, musée du Louvre
(RF 1994-23)
Réalisé en 1548 pour le comte Zantani, patricien de Venise, ce tableau est le premier portrait animalier de la peinture occidentale. Dans un cadrage serré typiquement maniériste, tout en courbes et en contrecourbes, l'artiste montre en pleine nature ses propres chiens, deux braques, qu'il représente souvent dans ses oeuvres sacrées du milieu du siècle.
© RMN / Daniel Arnaudet
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Titien, Enfant avec des chiens
Rotterdam, musée Bojmans van Beuningen
(Inv 2569)
Titien a toujours montré dans son œuvre une grande attention pour les animaux et un véritable génie pour décrire leur anatomie, leur pelage, leurs gestes et leurs expressions. Sur la gauche, la chienne allaite ses deux chiots tandis que l'enfant semble se maintenir en équilibre en prenant appui sur le chien debout.
© Museum Boijmans Van Beuningen, Rotterdam
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Véronèse, Cupidon avec deux chiens
Munich, Alte Pinakothek
(Inv n°29)
Véronèse a montré, durant toute sa carrière, un goût très affirmé pour les chiens qui animent toujours ses tableaux d'histoire ; mais à l'inverse de Bassano ou Titien, il représente les animaux avec moins de précision anatomique ; il privilégie la ligne et les formes gracieuses et élancées, avec une certaine abstraction géométrique très décorative.
© BPK, Dist RMN/BStGs
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