Portraits de représentation : Patriciens et patriciennes
Même si le portrait est généralement considéré comme un genre mineur par rapport à la peinture religieuse et mythologique, il a un statut particulier à Venise. Apanage de la classe dominante (patriciens, riches, marchands, lettrés), il est une façon de mettre en avant l’ancienneté de sa lignée, l’importance d’une fonction (doge, procurateur, amiral) et de servir à l’édification morale des hommes.Des peintres vénitiens, Titien est sans doute le plus recherché. Se faire peindre par lui, c’est une marque de distinction qui vous place au même rang que le pape Paul III, l’empereur Charles Quint, le roi François Ier, le cardinal Hippolyte de Médicis, les ducs d’Urbino et de Mantoue, les doges, …
A Venise, l’ancienneté de la famille est la condition de la noblesse patricienne et de l’exercice du pouvoir. Le portrait permet de représenter la lignée des ancêtres et de réaffirmer le droit de siéger au Grand Conseil.
Dans la société vénitienne, la vie active a une importance toute particulière. On se fait représenter dans l’exercice de sa fonction. De plus, il est important de montrer que les actions d’éclat, les prouesses militaires, diplomatiques ou intellectuelles, ne sont pas seulement le fruit d’un génie particulier mais plutôt d’une appartenance à l’excellence de la république de Venise. Les nombreux portraits placés dans les établissements publics renforcent aussi l’idée de l’alternance politique : le pouvoir n’est pas accaparé par une famille mais par l’ensemble des patriciens.
Ce qui compte le plus n’est pas l’illusionnisme mais la vraisemblance du portrait. Il n’est pas l’image de la réalité mais une image construite de ce que veut paraître le personnage (grandeur morale, prudence, capacité à maitriser ses passions, …) l’idée qu’il souhaite que l’on ait de lui.
Le costume et les attributs révèlent le rang et la fonction de l’homme. Plus encore que pour les hommes, les atours apparaissent déterminants pour les femmes qui n’ont pas d’activités publiques. Les autorités vénitiennes ont même dû promulguer des lois pour réguler les dépenses somptuaires ; costumes et parures ne devaient pas excéder un certain prix fixé par la République et le luxe devait être tempéré par une maîtrise dans l’apparence (corset lacé, cheveux tressés) et par un contrôle des gestes et de l’expression ce qui différencie les patriciennes des courtisanes qui elles ne sont pas tenues à cette retenue.
Les personnages ne sont pas toujours intégrés dans un cadre déterminé. Chez Titien notamment, les individus se détachent sur un fond sombre. Mais parfois, le cadre - une fenêtre ouverte sur un paysage ou un intérieur meublé de colonnes, de sièges - renseigne sur la vie publique du personnage. Le motif de la fenêtre est généralement absent des portraits féminins dont le modèle se détache sur un fond indéfini ou un intérieur renforçant l’idée que la position sociale de la femme se situe à l’intérieur de la famille dans sa maison.