Nocturnes sacrés : Dramatisation et effets de nuit
Dans la seconde moitié du XVIe siècle, avec la nouvelle sensibilité religieuse née de la Contre-réforme, les scènes nocturnes liées à la vie et à la Passion du Christ deviennent fréquentes. Dans la suite de Titien, les artistes des nouvelles générations comme Tintoret ou Bassano vont faire de la peinture de nocturnes une sorte de marque de fabrique de la peinture vénitienne.
Le premier vrai nocturne de Titien est le Saint Jérôme conservé au musée du Louvre. Si lui-même semble regretter l’inachèvement de son œuvre, il s’engage dans une nouvelle technique de la dissolution de la matière par la lumière avec de larges coups de pinceaux dans un souci toujours plus naturaliste. Jusqu’à ses derniers jours, il continuera d’explorer l’effritement de la matière dans la lumière notamment dans les décors nocturnes. Les meilleurs artistes de la génération suivante s’approprieront en le réinterprétant cet effet tragique de la lumière et de la couleur.
Tintoret s’engage d’emblée dans des scènes nocturnes à l’éclairage surnaturel, aux audacieux contrastes de lumière dénaturant les couleurs. Durant toute sa longue carrière, il aura recours à des effets d’éclairage mouvementés dramatisant ses compositions vertigineuses.
Attaché aux couleurs brillantes et à la luminosité cristalline, Véronèse ne laissera son style subir l’influence des recherches luministes de Titien qu’après la mort de ce dernier. Ses décors nocturnes se chargent alors de densité qui reflète la tension dramatique ; sa technique se fait plus fragmentée, avec de plus forts contrastes, plus expressifs.
Jacopo Bassano s’inscrit dans la continuité directe des recherches luministes de Titien dans le rapport matière et lumière des scènes nocturnes basculant peu à peu dans une dramatisation angoissante. Les formes sculptées de couleur et frappées de lumière jaillissent de la pénombre transmettant un douloureux sentiment d’angoisse.
Les peintres vénitiens plus que tout autre ont travaillé dans la représentation du paradoxe de la résurrection du Christ : le Christ n’est pas seulement ressuscité mais est mort durant trois jours ; il ne s’agit pas de le peindre comme s’il était vivant mais de tenter d’exprimer ce passage par la mort.
En plongeant certaines scènes de jour comme l’Annonciation, le Couronnement d’épines ou les martyres des saints dans une pénombre artificielle, les peintres accentuent le tragique de la représentation. La nuit se mêle au jour et la mort à la vie. L’iconographie n’est pas seule porteuse d’émotion ; les couleurs elles-mêmes, sont chargées d’expressivité et de pathétisme.
Les peintres créent tout un jeu de couleurs qui s’interpénètrent et qui sont absorbées par les teintes sombres, comme happées par la mort.
La mise en scène, les couleurs, les jeux de clairs obscurs, tout participe à plonger le spectateur dans la contemplation douloureuse.
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Titien
, Saint Jérôme
Madrid, Museo Thyssen-Bornemisza
(Inv 1933.4)
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Tintoret
, Saint Jérôme
Vienne, Kunsthistorisches Museum
(Inv GG-46)
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Véronèse
, Saint Jérôme
Venise, Gallerie dell'Accademia
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Jacoppo Bassano
, Saint Jérôme
Venise, Gallerie dell'Accademia
(Inv N652)
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Titien
, Mise au tombeau
Madrid, Museo Nacional del Prado
(inv P00440)
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Tintoret
, Déploration du Christ
Venise, Gallerie dell'Accademia
(Inv 217)
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Véronèse
, Christ mort
St Petersburg, Musée de l'Ermitage
(Inv GJ-49)
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Titien, Saint Jérôme
Madrid, Museo Thyssen-Bornemisza
(Inv 1933.4)
Ce tableau a été exécuté par Titien à la fin de sa vie. S'il reprend en partie la composition d'une œuvre effectuée précédemment, ce Saint Jérôme témoigne de son changement de style : le corps du saint est effectué avec une touche plus morcelée quasi impressionniste tandis que le paysage devient un éblouissement indéfini où terre, ciel, arbres et rochers se mêlent dans un tourbillon de lumière.
© Museo Thyssen-Bornemisza, Madrid

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Tintoret, Saint Jérôme
Vienne, Kunsthistorisches Museum
(Inv GG-46)
Dans une lumière crépusculaire, Tintoret a choisi de représenter son Saint Jérôme méditant sur la Bible, accompagné d'un lion tranquille. La puissante anatomie michelangelesque et sculpturale du saint qui semble sortir du cadre est à rapprocher de l'idée du paragone (comparaison entre la peinture et la sculpture et prééminence de l'une par rapport à l'autre).
© Erich Lessing, Vienne

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Véronèse, Saint Jérôme
Venise, Gallerie dell'Accademia
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Ce Saint Jérôme est une œuvre tardive où la sérénité classique de Véronèse fait place à une dimension tragique. Le ciel d’un début de soirée estival et la tranquillité du paysage avec sa petite église et son obélisque contrastent avec l’aspect dramatique du personnage aux yeux rougis, à la poitrine sculpturale marquée par l'autoflagellation.
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Jacoppo Bassano, Saint Jérôme
Venise, Gallerie dell'Accademia
(Inv N652)
Bassano s'est affranchi de l'héritage maniériste de ses débuts. Le corps du saint, que les accents de lumière révèlent marqué par l'âge, le visage douloureux, l'atmosphère sombre au ciel menaçant annoncent la peinture réaliste du XVIIe siècle, notamment de Caravage et de Ribera.
© 1990 Photo Scala, Florence - courtesy of the Ministero beni e Att. Culturali

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Titien, Mise au tombeau
Madrid, Museo Nacional del Prado
(inv P00440)
La composition s'inspire d'exemples empruntés à la sculpture. La couleur presque monochrome est frappée de taches vives (rouge, bleues et blanches). Les personnages - si l'on excepte le corps sculptural du Christ - semblent aspirés par le paysage et le cadre qui les entourent. L'oeuvre est caractéristique du nouveau style créé par Titien dans la vieillesse.
© Museo Nacional del Prado, Madrid

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Tintoret, Déploration du Christ
Venise, Gallerie dell'Accademia
(Inv 217)
Dans cette scène où le drame est accentué par un cadrage très rapproché au clair obscur intense, Tintoret dispose le Christ mort et la Vierge évanouie selon un chiasme qui permet de faire se répondre les deux corps tombant dans deux directions opposées, évoquant la séparation et la mort. On retrouve une certaine influence de la dernière manière de Titien.
© Scala, Florence

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Véronèse, Christ mort
St Petersburg, Musée de l'Ermitage
(Inv GJ-49)
Le monumental Christ mort, peint en raccourci pour être vu d’en bas, avec ses contrastes entre l’arrière-plan noir et les couleurs changeantes des drapés mouchetés par la lumière divine provenant de droite, s’inscrit dans la tradition d’un luminisme fondé sur une touche plus sourde, contrastée et expressive, typique de la dernière période de Véronèse.
© Bridgeman Giraudon, Paris

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