Le reflet et l’éclat : Jeu de l’envers dans la peinture
Venise est la ville des reflets jusque dans sa peinture. L’un de ses peintres fameux – Giorgione - aurait conçu un tableau qui par ses jeux de reflets affirmait la prééminence de la peinture sur la sculpture. En effet, pour contempler une sculpture, le spectateur doit se déplacer autour de l’œuvre. Or, ce tableau de Giorgione, qui n’est connu que par la description qu’en firent certains auteurs, offrait en même temps au regard tous les angles de vue de la figure humaine : il s’agissait d’un homme nu vu de dos dont la vue de face se reflétait dans l’eau d’une source et les deux vues latérales étaient révélées dans un miroir et une armure, placés de part et d’autre de la composition.Le reflet, révélateur de l’envers du tableau, dévoile ce qui est soustrait à l’œil du spectateur ; ceci est notamment vrai dans la peinture flamande comme chez Van Eyck. S’ils ont été fascinés par les œuvres flamandes, les peintres italiens ont utilisé les miroirs et les reflets pour focaliser le regard du spectateur sur le sujet. Ils ont donc particulièrement joué avec l’aspect technique du reflet : « autoréfléxivité » de la composition, vue en raccourci dans un miroir, réverbération de la lumière sur les objets métalliques …
Bien que Titien dans son premier tableau de femme à sa toilette ait repris le miroir convexe à la flamande, le miroir plat prédomine chez les peintres italiens. Il est notamment présent dans les portraits de Suzanne ou de Vénus où la femme, absorbée par la contemplation de son image, en oublie qu’elle livre sa nudité au regard du spectateur et de ceux qui l’entourent.
L’acier poli des armures, par sa surface bombée, pourrait se rapprocher du miroir convexe flamand et si quelques peintres ont voulu jouer avec ce type de reflet et les procédés de rétrécissement et distorsion qu’il occasionne, les théoriciens de la peinture ont très tôt dénoncé le procédé comme étant un expédient facile. Seul Tintoret s’adonna parfois au jeu des reflets sur les cuirasses, notamment en transformant l’armure martiale en un miroir vénusien, les chairs féminines dénudées se fondant dans le métal poli.
La force évocatrice de la peinture vénitienne, rendue par ses coloris atmosphériques, se marie mal avec l’image détaillée et minutieuse d’un reflet à la flamande. Le métal reflète donc une illumination diffuse de la lumière et des couleurs mais aussi révèle – notamment chez Titien – l’ardeur et la force militaire de celui qui le porte. Les pièces d’orfèvrerie et de verrerie témoignent également de l’importance du thème de l’éclat, de la réverbération de la couleur et de la lumière.