Rapport d'Activité 2020
Rapport d’activité - 2020 208 INTERVIEW DE Monsieur Michel Goutal, architecte en chef des Monuments historiques Avant d’aborder la question du chantier de la façade de l’aile du Bord- de-l’Eau, pouvez-vous nous parler de cette façade du Louvre ? La première originalité de cet édifice dans sa partie orientale réside dans ses fondations. Il a en effet été construit sur les fondations du rempart médiéval de Paris. L’infrastructure de cet édifice militaire lui a conféré résistance et pérennité, préservant du fleuve un ouvrage témoin de la Renaissance française. Conçu à la fin du 16 e siècle et achevé au début du 17 e siècle, il propose une architecture «presque- baroque » dont il subsiste peu de vestiges en France. Son échelle est sans équivalent à l’époque. L’ensemble de la «Grande Galerie », parties orientale et occidentale réunies, se déroule sur 500 mètres et a, à mon avis, été une source d’inspiration pour les grands ordonnancements urbains de la capitale. Au 18 e siècle, son aménagement se poursuit. Mais le Louvre est devenu un musée et l’ensemble des menuiseries des fenêtres est remplacé pour ce nouvel usage, avec de grands carreaux, sans vitraux. On conçoit donc ici les premières fenêtres dédiées à un musée. Ce travail sur la lumière est prolongé au 19 e siècle, successivement par Fontaine, Duban et enfin Lefuel qui reprend alors la couverture en y intégrant une verrière continue prenant la lumière sur l’intégralité du versant nord. C’est aussi au 19 e siècle que la 2 e République décide du parachèvement de la façade, dont les sculptures ornementales et figuratives étaient restées inachevées au 1 er étage et en attique. A la fin du 20 e siècle, force est de constater d’importantes dégradations. L’exposition sud-ouest de la façade est en effet très défavorable. Elle combine les effets des chocs thermiques et des fortes températures du sud à ceux des pluies régulières venues de l’ouest. À cela s’ajoutent les effets de la pollution, notamment des gaz d’échappement produits par l’intense circulation sur les quais. Ce chantier a fait appel à de nombreux corps de métiers (sculpteurs, couvreurs, tailleurs de pierre...). Quelles ont été pour vous les expériences les plus marquantes ? J’en citerai deux. La première est le traitement innovant mis en œuvre pour nettoyer la pierre, mais aussi la dépolluer, en extraire le plomb déposé par l’activité urbaine au fil des siècles. Il a été réalisé par projection d’argile verte. Cette substance naturelle hydrophile capte l’eau, les graisses et les métaux lourds. Projetée à partir d’une nacelle, elle a permis de piéger le plomb. Ce chantier a duré 3 mois. L’échafaudage a ensuite été installé sans emmaillotage, ni obligation de port des combinaisons de cosmonautes, nous apportant les meilleures conditions de travail pour la restauration. La seconde est la restitution des sculptures : les sculptures ornementales des cheminées ou du fronton de l’avant-corps Barbet de Jouy étaient extrêmement érodées, certaines des sculptures figuratives placées dans les niches, étaient démembrées, bien plus qu’érodées. Le travail de restitution a été passionnant. Il a en amont combiné des recherches en archives avec le service de l’histoire du Louvre et des moulages des œuvres. Le choix des blocs de pierre nécessaires à la sculpture des nouvelles statues des niches s’est fait en carrière, avec des tests de propagation du son, pour exclure les blocs microfissurés. Les sculptures ont ensuite été réalisées dans la Nièvre, mises en cage de fer, puis grutées à 25 mètres de hauteur et mises en place à mains d’hommes. Un travail précis et d’envergure. La partie restaurée de la façade est très belle. Comment envisagez-vous son avenir ? La durée de vie d’une façade ornée et exposée comme celle-ci est d’environ 70 ans. Il me semble important d’anticiper sa pérennisation dès aujourd’hui. J’ai donc proposé au Louvre un entretien par aspiration tous les 5 à 10 ans. Cette technique vise à éviter la dissolution régulière par la pluie des dépôts de poussières, micro- organismes et autres polluants, afin d’éviter leur transformation en concrétions, prolongeant ainsi la durée de vie de la modénature de la façade de 50 ans. La restauration de la façade de l’aile du Bord-de-l’Eau est un chantier d’exception et la conservation préventive de cet ouvrage est un sujet qui me tient beaucoup à cœur.
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