Images du Louvre - Dossiers documentaires
Eugène Delacroix Le 28 Juillet : La Liberté guidant le peuple Une mise en scène : le « spectacle des barricades », Gustave Flaubert, L’Éducation sentimentale, 1869 Frédéric s’arrêta forcément à l’entrée de la place. Des groupes en armes l’emplissaient. Des compagnies de la ligne occupaient les rues Saint-Thomas et Fromanteau. Une barricade énorme bouchait la rue de Valois. La fumée qui se balançait à sa crête s’entrouvrit, des hommes couraient dessus en faisant de grands gestes, ils disparurent ; puis la fusillade recommença. Le poste y répondait, sans qu’on vît personne à l’intérieur ; ses fenêtres, défendues par des volets de chêne, étaient percées de meurtrières ; et le monument avec ses deux étages, ses deux ailes, sa fontaine au premier et sa petite porte au milieu, commençait à se moucheter de taches blanches sous le heurt des balles. Son perron de trois marches restait vide. À côté de Frédéric, un homme en bonnet grec et portant une giberne par-dessus sa veste de tricot se disputait avec une femme coiffée d’un madras. Elle lui disait : « Mais reviens donc ! reviens donc ! » « Laisse-moi tranquille ! » répondait le mari. « Tu peux bien surveiller la loge toute seule. Citoyen, je vous le demande, est-ce juste ? J’ai fait mon devoir partout, en 1830, en 32, en 34, en 39 ! Aujourd’hui, on se bat ! Il faut que je me batte. Va-t’en ! » Et la portière finit par céder à ses remontrances et celles d’un garde national près d’eux, quadragénaire dont la figure bonasse était ornée d’un collier de barbe blonde. Il chargeait son arme et tirait, tout en conversant avec Frédéric, aussi tranquille au milieu de l’émeute qu’un horticulteur dans son jardin. Un jeune garçon en serpillière le cajolait pour obtenir des capsules, afin d’utiliser son fusil, une belle carabine de chasse que lui avait donnée « un monsieur ». « Empoigne dans mon dos », dit le bourgeois « et efface-toi ! tu vas te faire tuer ! » Les tambours battaient la charge. Des cris aigus, des hourras de triomphe s’élevaient. Un remous continuel faisait osciller la multitude. Frédéric, pris entre deux masses profondes, ne bougeait pas, fasciné d’ailleurs et s’amusant extrêmement. Les blessés qui tombaient, les morts étendus n’avaient pas l’air de vrais blessés, de vrais morts. Il lui semblait assister à un spectacle.
RkJQdWJsaXNoZXIy NDYwNjIy