Rapport d'activité 2018

Rapport d’activité - 2018 86 Interview de Messieurs Sébastien Allard, et Côme Fabre, co-commissaires de l’exposition «Delacroix », respectivement conservateur général, directeur du département des Peintures, et conservateur au département des Peintures. Pourquoi avoir choisi de consacrer une grande rétrospective à Eugène Delacroix ? En France, il n’y avait pas eu de grande exposition retraçant la carrière complète de cet artiste depuis 1963, date du centenaire de sa mort. 55 ans plus tard, alors que les recherches des historiens ont fait émerger une énorme quantité de sources nouvelles, il apparaissait utile de décanter cette masse d’informations et de s’efforcer d’en offrir une synthèse cohérente. Par ailleurs, cette envie rencontrait celle du Metropolitan Museum of Art de New York pour qui une telle exposition était encore nécessaire puisqu’il s’agissait de faire découvrir pour la première fois au public l’œuvre de l’artiste dans toute sa diversité et sur toute sa carrière. Quel nouvel éclairage avez-vous souhaité porter sur l’artiste et son œuvre avec cette exposition ? L’enjeu n’était pas d’être exhaustif – impossible avec Delacroix, auteur de plus de 700 peintures et 6 000 dessins, d’une centaine d’estampes et de milliers de pages écrites ! – mais de proposer une lecture nouvelle d’une carrière et d’une œuvre complexes : pour le grand public, sa production se résume trop souvent à quelques chefs- d’œuvre « romantiques » de grand format, alors qu’ils ne sont représentatifs que des dix premières années de création. Pourquoi abandonne-t-il les sujets d’actualité après 1830 au profit de sujets classiques ou décoratifs ? Quelle forme de modernité visait-il dans les années 1850, alors que sa peinture paraît si dissociée de celles de l’avant-garde réaliste ? Telles étaient les questions qu’il fallait poser pour intéresser le public non pas seulement au Delacroix de 30 ans, mais aussi à celui qui peint jusqu’à son dernier souffle, à plus de 60 ans. Le parcours de l’exposition et le catalogue qui l’accompagne sont articulés en fonction de ces questions, ce qui a conduit à une sélection et à un accrochage nécessairement subjectifs, mais qui avaient la vertu de surprendre et de renouveler le regard sur cet artiste. Nous avons par exemple choisi de mener le spectateur d’emblée et d’un seul coup aux grands formats des Salons de 1822 à 1834 pour rendre sensible la rapidité foudroyante avec laquelle Delacroix trouve une place et une voix singulière sur la scène artistique parisienne, en réformant la peinture en profondeur par les sujets et par la technique picturale. À l’autre extrémité de l’exposition, le parcours se concluait avec l’importance accrue du paysage qui baigne les compositions tardives, et le rôle créateur que le peintre assignait à la mémoire. Il y avait aussi un espace central dédié à l’écriture, complément indispensable de la création chez Delacroix. Quelles sont selon vous les raisons du vif succès que l’exposition a rencontré auprès du public ? Pour le public français et européen, Delacroix fait partie de ces grandes figures familières dont on a plaisir à se laisser surprendre alors qu’on croyait le fréquenter depuis longtemps. Utiliser La Liberté guidant le peuple pour l’affiche et le catalogue était un signal de ralliement très efficace ; les visiteurs la redécouvraient, sur un fond bleu nuit, dès l’entrée de l’exposition. Notre souhait était que cette accroche rende le public plus disponible pour découvrir ensuite ce qu’il connaît moins ou pas du tout : les lithographies noires, les études de nu brutales et sensuelles, les énormes gerbes de fleurs, les déplorations austères et pathétiques inspirées de la Passion du Christ, les paysages flottants, émeraude et turquoise des dernières années, sans oublier les pages magnifiques du Journal ou des lettres. L’impression conjointe d’abondance, de diversité et de cohérence a sans doute contribué à rendre la visite agréable et surprenante ; s’y ajoutait la muséographie élégante et fluide signée par Victoria Gertenbach. Le peintre étant très soucieux de la qualité d’exécution et de l’intégrité de ses peintures après lui, ses œuvres brillent encore aujourd’hui d’un éclat particulier, rehaussé par un éclairage très soigné réalisé par les équipes du Louvre. L’exposition offrait un bain de couleurs contrasté, servi par un peintre qui ne se laisse toutefois jamais déborder par une matière qu’il maîtrise avec génie.

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