Céramiques et carreaux safavides

La complexité de l’histoire de la céramique safavide est due en partie à la situation géographique de la Perse, entre l’Empire ottoman, les territoires des souverains ouzbeks, l’empire moghol et l’océan Indien. La dynastie safavide a dominé la Perse pendant plus de deux siècles (1501-1722) ; le premier siècle de cette domination est marqué par de nombreux problèmes sur toutes les frontières, particulièrement intenses à la frontière ottomane.
Les collectionneurs du début du XIXe siècle ont eu tendance à confondre la production d’Iznik et la production iranienne. Les voyageurs puis après la première Guerre mondiale, les collectionneurs et les historiens, distinguent les deux productions et se concentrent sur la longue histoire de la céramique iranienne à travers l’études d’objets découverts lors de fouilles archéologiques, provenant d’une période allant de l’âge du Bronze jusqu’au XIIIe siècle, en 1220, lorsque Rayy tombe aux mains des Mongols. Avant même la seconde Guerre mondiale, Arthur Upham Pope, dans son ouvrage sur l’art persan, étudie les débuts de la période islamique, jusqu’au XVe siècle, le siècle timouride.
Quelques études récentes ont mis en lumière certains aspects de la céramique safavide grâce à la pétrographie, l’étude de la structure des objets ainsi que la publication des céramiques safavides bleues et blanches du Victoria & Albert Museum. Un certain nombre de bâtiments avec des revêtements de carreaux comme la tombe de Harun-i Vilayat à Ispahan (1512) ainsi que quelques œuvres datées ont permis de commencer à établir un début de chronologie. Sans études archéologiques, il n’est pas encore possible d’identifier des lieux de production précis, mais on peut dire que les poteries safavides proviennent de certaines zones des provinces d’Azerbaïdjan, du Khorasan, du Fars, du Kirmân, et probablement des alentours d’Ispahan.

Si l’on note une certaine unité stylistique dans la céramique des territoires timourides du XVe siècle, ce n’est déjà plus le cas au XVIe siècle, où la cour ottomane impose un nouveau style de décor, basé sur des dessins préliminaires. Au XVIe siècle, les capitales safavides s’écartent des frontières ottomanes, ce qui ne favorise pas la création d’un style décoratif spécifique. La glaçure craquelée, les trois incisions au centre et le décor peint à main levée semblent les seules caractéristiques communes aux céramiques dites Kubachi, sans doute produites dans la région de Tabriz. Le style timouride survit quelques décennies avec de grands plats bleus et blancs qui rappellent les motifs floraux chinois de la période Yongle (1403-1424) ; apparaissent ensuite sur quelques plats des échos de motifs d’Iznik tels que des groupes de fleurs sur fond bleu pâle ou beige clair ou le type de feuille saz utilisé comme motif répétitif.

Certains carreaux ont probablement été fabriqués pour les bâtiments safavides de la ville de Qasvin au milieu du XVIe siècle. Sous le règne de Shah Abbas I, les plats et les carreaux reflètent davantage le style de cour des manuscrits, décorés de bustes de courtisans et même d’étrangers. Mais, l’arrivée massive de porcelaines d’importation Kraak de la période Wanli (1573-1620) influence les carreaux muraux et le centre des plats, avec des décors aux oiseaux qu’ils soient bleus et blancs ou polychromes.
Le type de céramique et de décor du XVIe siècle semble disparaître brusquement vers la fin du règne de Shah Abbas I, et les poteries imitent de plus en plus clairement les céramiques Kraak qui arrivent massivement le marché persan. Il en résulte une amélioration spectaculaire de la qualité de la pâte blanche et de la glaçure. L’explication la plus vraisemblable de ce changement radical réside dans l’entrée en scène de la compagnie hollandaise des Indes de l’est, la VOC, qui devient le nouveau fournisseur international de marchandises d’importations chinoises. Alors que la production d’Iznik du XVIe siècle avait rapidement abandonné les motifs chinois, les potiers persans, qui s’efforcent de concurrencer les marchandises chinoises, reprennent des modèles chinois du XVIIe siècle et des périodes antérieures, qu’ils adaptent librement.

A partir du milieu du XVIIe siècle, on découvre les motifs de la nouvelle dynastie chinoise, les Qing, dans les arts appliqués en Perse : les glaçures chinoises monochromes recouvrent bouteilles, bols et plats persans à moulures et à incisions, de couleur jaune, blanche, verte et bleue. Certains bols blancs sont ornés de « motifs de riz » gravés, à la manière chinoise ; ce motif est obtenu en pratiquant des incisions en forme de grain de riz à l’aide d’une petite lancette souple en acier. Un ensemble de grands plats rappelle les décors moghols des jades incisés et des métaux incrustés.
Dans ces décors nouveaux, qui se rapprochent des motifs en gerbes de fleurs des broderies contemporaines, on assiste à l’introduction de rouge pâle, de jaune et de couleurs vertes alternant avec des motifs bleus sur le fond blanc habituel des plats, qalyans et bouteilles.
Pendant les cinquante dernières années de la dynastie safavide, bouteilles, bols, petites coupes et pichets peuvent recevoir un décor original lustré et peint, où le lustre est appliqué sur la glaçure, contrastant avec un fond blanc ou bleu. La plupart des décors évoque les motifs des marges dorées des manuscrits. C’est un monde peuplé de paons, de gazelles, où poussent des fleurs rappelant des pavots ou des lotus, et où coulent des rivières bordées d’arbres.

Les carreaux safavides dans l’architecture persane sont plus proches des motifs traditionnels que les formes et les motifs variés des céramiques décrits plus haut. La tradition de la mosaïque en carreaux se perpétue depuis l’époque de la mosquée bleue Ak Koyunlu à Tabriz (1465). Au XVIIe siècle, l’utilisation de carreaux entiers est le moyen le plus rapide de décorer les surfaces de grands bâtiments publics et religieux, en particulier dans la nouvelle capitale Ispahan, même si à Kerman l’ensemble architectural construit par le gouverneur de la ville Ganj Ali Khan autour de l’an 1600 est encore partiellement décoré de mosaïque de carreaux. La technique cuerda seca, qui est rapidement abandonnée par les potiers ottomans au XVIe siècle, subsiste en revanche en Perse pendant tout le XVIIe siècle et jusqu’au début du XVIIIe siècle. Les nombreux bâtiments religieux et officiels sur les deux rives de la Zayendeh Rud, la rivière d’Ispahan, sont décorés de carreaux polychromes où la couleur jaune se fait de plus en plus présente, outre les nuances de bleus, les teintes brunes et le vert sauge..

On peut se demander ce qui est advenu de la céramique persane après la chute de la dynastie safavide. Des potiers ont pu par la suite tenter d’imiter le style « plume de paon chinoise » ou les glaçures « œuf de rouge-gorge » du règne de Qianlong mais deux découvertes importantes qui ont eu lieu en Europe au XVIIIe siècle ont diminué la production de formes céramiques traditionnelles : la première découverte, celle du kaolin, l’un des deux composants de la porcelaine, a lieu en Saxe sous le règne du roi Auguste le fort ; la deuxième est l’invention de l’impression par transfert en Angleterre par John Sadler en 1755 ; faire appel à des peintres spécialisés pour décorer la céramique n’était plus nécessaire, et ces nouvelles marchandises moins chères pouvaient dès lors concurrencer la production locale persane.
Cependant, sous le règne de Karim Khan Zand à Shiraz, on réalise encore d’élégants panneaux de carreaux dans le style de la Famille rose, destinés à orner des maisons de particuliers, des madrasas et la Mosquée Vakil en 1766. La tradition des carreaux se poursuit sous la dynastie Qajar. Sans aucun doute, on peut dire pour conclure que la céramique persane à l’époque safavide atteint un degré d’excellence qui ne fut jamais surpassé dans le pays de Hafiz et de Saadi.


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