Dossier pédagogique Léonard de Vinci
7 Comment le texte de Vasari a-t-il nourri la conception de l’exposition ? L. F. : nous avons réinterprété les deux catégories qui sont, chez Vasari, les fondements essentiels de la modernité et par lesquels la Renaissance fut non seulement la redécouverte de l’Antiquité, mais le dépassement de l’Antiquité : la liberté et l’imitation de la vie. Ces deux notions forment deux des quatre sections de l’exposition. Quelle est cette liberté que conquiert Léonard? L. F. : c’est une liberté qui s’exerce dans l’art, la liberté graphique et picturale dont nous venons de parler, et c’est aussi une liberté dans la vie sociale, extraordinaire et paradoxale, celle qu’un artiste a voulu se donner de ne pas finir, de ne jamais rien finir ! Vasari insiste sur cet aspect dans les Vies des artistes et, pour ses contemporains qui tous le connaissaient, c’était un trait assez frappant. Nous n’avons pas conservé la commande à Léonard de La Bataille d’Anghiari – cette vaste peinture murale destinée à la salle du Grand Conseil du palais de la Seigneurie à Florence –, mais une délibération de 1504, qui fixe les devoirs du peintre. La Seigneurie n’exige qu’une chose : que Léonard livre le carton préparatoire de la composition. Elle craint manifestement qu’il ne réalise pas la peinture. De même, le pape Léon X n’avait pas une grande confiance en Léonard et lui préférait des artistes plus efficaces . Alors qu’il faut vingt ans à Léonard pour ne pas finir un petit panneau peint, Michel-Ange et Raphaël couvrent d’immenses surfaces dans le temps qui leur est imparti. V. D. : oui, mais un petit panneau inachevé, la Joconde, devient une sorte de monument qui équivaut à la chapelle Sixtine ! Et cette liberté de ne pas finir est à l’opposé de la manière dont il a peint ses tableaux de jeunesse qui sont parfaitement achevés, comme des peintures flamandes. Même si, de temps en temps, on peut invoquer des contingences expliquant qu’il ne finisse pas ses œuvres, il n’existe aucune raison pour qu’il n’achève jamais un petit panneau comme son Portrait de musicien. Chez Léonard, l’œuvre d’art elle-même devient en quelque sorte comme un dessin, dans lequel il doit toujours y avoir cette liberté de parfaire les choses. La forme est toujours ouverte, en devenir. Il suffit de regarder le Saint Jérôme du Vatican. Quel est le tableau de Léonard qui traduit le mieux cette imitation de la vie ? L. F. : dans le livre de Vasari, l’imitation de la vie, c’est le portrait de Lisa del Giocondo. Lisa, c’est la vie physiologique, la respiration, l’humidité, le sang, la pulsation – c’est cela qui est peint. Vasari est le premier à décrire ce tableau qu’il n’a pourtant pas connu. Son texte se fait l’écho d’une interprétation qui n’est pas directement la sienne, mais celle de ceux qui ont pu l’admirer. Nul n’avait jamais vu une telle peinture !
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