La Chaire du Louvre - page 8

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L’art des V
e
et IV
e
siècles avant J.-C.
marque un changement révolutionnaire
dans l’histoire et la culture grecques,
lié à une nouvelle conscience de l’identité
collective et individuelle. Les œuvres
figurées sont des facteurs actifs
dans ce processus mais montrent
également la profonde ambivalence
de celui-ci : elles appuient les identités
et donnent aux communautés
un pouvoir collectif, tout en renforçant
la distinction par rapport aux étrangers
et aux ennemis. Les villes grecques
et leurs élites engagent une « guerre
des monuments » au nom de l’identité.
Une antithèse idéologique de l’identité
et du caractère étranger s’est construite
en réaction aux Perses et trouve ses effets
dans les images des vases. Certes,
encore aujourd’hui, nous voyons dans
l’art de la « période classique » les
origines de l’identité de l’« Occident » :
dans l’image de l’homme, qui dispose
lui-même d’une potentielle force
personnelle, comme dans le concept de
l’artiste, qui bénéficie d’une plus grande
marge de manœuvre pour exprimer
un style personnel. Mais les risques
de l’identité ne sont pas écartés.
Au cours des siècles de l’époque
hellénistique, le mode de vie et l’art visuel
du monde grec perdent leur homogénéité.
À partir du règne d’Alexandre le Grand,
les monarques se montrent par l’entremise
de monuments qui rendent manifeste leur
charisme transcendant et qui les mettent
en scène auprès des grandes masses grâce
à des effets spectaculaires. Dans les
villes, les statues honorifiques publiques
présentent une société homogène
d’éminents citoyens et citoyennes, érigés
en modèles de comportement politique.
En même temps se constitue dans les
sanctuaires une «
ambientale Bilderwelt »
,
une « ambiance d’images », peuplée
de personnages sociaux et mythiques
secondaires qui créent une atmosphère
émotionnelle. Au II
e
siècle avant J.-C.,
le renforcement des pouvoirs locaux
en Orient et en Afrique ainsi que
l’expansion romaine conduisent à
un retour à l’art « classique » suivant
deux logiques diamétralement différentes :
en Grèce, il prend la forme d’une
récupération défensive des valeurs
propres, pendant que Rome présente
une appropriation belliqueuse de la
culture grecque. L’ensemble constitue
un langage visuel qui utilise les formes
hétérogènes de la tradition grecque
comme un système sémantique.
Tonio Hölscher / La Chaire du Louvre
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