Louvre

Histoire seconde et 4ème LP de la bijouterie, section textile et orfèvrerie


Objectifs
Par l'étude séparée ou comparée de quatre portraits de femmes peints par Ingres à trois périodes du XIXe siècle, sensibiliser les élèves à l'importance de la représentation du costume, aux influences culturelles et politiques qui régissent la mode et envisager ainsi le rôle et la place de la femme dans le siècle.


Démarches


La date d'exécution du tableau


Le costume dans le portrait


L'attitude de la femme représentée


Madame Rivière, 1806 : l'Antique et l'Orient
Le début de l'Empire perpétue le goût de la fête inaugurée par le Directoire. Depuis le sacre de Napoléon, la mode est à nouveau dictée par la cour. Joséphine, Madame Récamier et les deux sœurs de l'Empereur lancent les modes qui marient la passion pour l'Antique au goût de l'Orient. L'Antique est depuis deux décennies au moins la référence en matière d'art et de mode. Les fournisseurs de la cour copient les formes des vêtements sur les reproductions des fresques d'Herculanum ou de Pompéi et sur les sculptures du Louvre. Madame Rivière porte une robe de bal à l'Antique : taille haute, décolleté carré et fines bretelles. De couleur crème, la mousseline recouvre un dessous de robe satinée. La quasi nudité n'est plus de mise comme sous le Directoire, Napoléon souhaitant plus de respectabilité. Vers 1808, le satin et le velours aux teintes foncées remplacent le linon et la mousseline, les manches s'allongent. L'Antique influence aussi la coiffure. Les boucles de Madame Rivière sont disposées "à la Caracalla". Un voile à la romaine est juste posé sur les cheveux. Ses bijoux sont des copies d'orfèvrerie antique : petits torques et fines chaînes ornent ses poignets et son cou. Le goût pour l'Orient remonte au XVIIe siècle, les portugais rapportent les premiers, ces toiles claires de coton peintes ou imprimées en Inde, les "Indiennes", qui seront ensuite exportées en grand nombre par la Compagnie des Indes. Relancé par l'expédition de Napoléon en Égypte, l'orientalisme s'impose dans la mode comme dans les arts décoratifs. Selon la légende, Napoléon aurait offert un châle de Cachemire à Joséphine à son retour d'Égypte et lança ainsi une mode qui perdurera pendant tout le XIXe siècle. Très coûteux - il vaut souvent le prix d'un meuble - le châle de cachemire est un signe de distinction sociale. L’instauration du Blocus interdisant, dès 1806, toutes exportations de produits transportés par des navires britanniques, Napoléon favorisa alors les copies françaises de châle. A la manière des femmes orientales, le châle flotte sur les bras, drape les robes trop légères ou se porte en turban. Celui de Madame Rivière, de Madame de Sennones et de Madame Marcotte, est rectangulaire en cachemire beige, bordé de larges palmettes et de franges. A demie couchée sur une méridienne, la posture sensuelle de Madame Rivière évoque celle de l'Odalisque peinte plus tardivement. Madame Rivière incarne ainsi le désir de légèreté et de luxe de la société du 1er Empire.


Madame Marcotte : Salons et historicisme
Sous l’Empire, la littérature est étroitement surveillée et la liberté d'expression entravée. La Restauration favorisera à nouveau le commerce des idées, avec les salons politiques et littéraires, notamment celui de Madame Ancelot et ceux de la duchesse de Duras et de Madame Récamier. Selon Balzac, "être admis dans un salon doré équivalait à un brevet de haute noblesse". Les femmes jouent un grand rôle dans ces Salons en y recevant artistes, hommes politiques ou anciens émigrés. Elles donnent le ton d'un changement radical dans les mœurs en valorisant l'esprit, le talent, la retenue. Lamartine influence la conception d'une femme sentimentale et littéraire, en somme "romantique". La mode emboîtera le pas de ces idées nouvelles, le costume suivra ce besoin de décence et de pruderie. En robe d'intérieur sombre très enveloppante, Mme Marcotte incarne ce retour de la femme au foyer, cultivée et réservée. Sa timidité était telle que le peintre eut du mal à terminer son portrait. Le livre entrouvert et le lorgnon témoignent de la passion des bourgeoises de l'époque pour la lecture.


Les émigrés de retour en France lancent la mode de l'anglomanie teintée d'historicisme. Les romans historiques britanniques (Ivanhoé, Walter Scott) accompagnent le goût nostalgique pour l'histoire, du Moyen Age au XVIIe siècle. Les toilettes s'inspirent de ce goût prononcé pour le passé et la littérature. Les chapeaux sont à la Marie Stuart ou à la Robin des Bois, les cols à l'Atala. Déjà en 1814, Madame de Sennones porte une robe de velours écarlate aux manches longues à crevés à la mode au XVe siècle. Les manches gigot de Madame Marcotte, dont la vogue fut lancée par la duchesse de Berry, sont une réminiscence déformée des robes de la Renaissance. Elles accentuent l'effet d'épaules tombantes, critère essentiel de beauté dans les années 1820. La taille redescend, marquée par une ceinture à boucle rectangulaire. Les boutons sont de retour ainsi que les corsets. Les couleurs s'assombrissent telle la soie brune de la robe de Madame Marcotte. La silhouette s'arrondit, la jupe s'évase. Le col d'organdi plissé rappelle les larges collerettes de dentelles empesées "à la Louis XIII". De cette époque encore, s'inspirent les longues chaînes et sautoirs que porte Madame Marcotte. La ferronnière, chaînette en or portée sur le front, devint à la mode et à la suite du roman de Notre-Dame de Paris en 1831, on créa des bracelets "Moyen Age" représentant des chevaliers et des troubadours.


Madame Moitessier 1856, la Princesse de Broglie 1853 : le goût du XVIIIe
Dès la seconde moitié du règne de Louis-Philippe, l'influence du XVIIIe siècle donne naissance en art décoratif au style Pompadour puis sous le Second Empire, au style Louis XVI - Impératrice grâce à la passion de l'Impératrice Eugénie pour Marie-Antoinette. Cette influence s'exerce également dans le costume. On aime les étoffes semées de bouquets (Madame Moitessier) ; les dentelles aux manchettes mais c'est la crinoline, interprétation des paniers du XVIIIe siècle, qui est l'élément le plus caractéristique de la mode du Second Empire. La jupe ornée de volants de la Princesse de Broglie ou de Madame Moitessier est gonflée par ce jupon fait de crin (d'où son nom), puis en 1850 cerclé de cerceaux. Le corsage de ces robes du soir, en pointe devant, est baleiné, pourvu de mancherons bouillonnés, de larges rubans froncés, de franges de soie. Les taffetas, les moires, les failles sont irisées, les unis du goût de l'Impératrice sont à la mode tel le bleu porté par la Princesse de Broglie. L'éventail présent dans les deux tableaux est l'accessoire indispensable. Très en vogue au XVIIIe siècle, il disparaît presque sous l'Empire, la Restauration en relancera le goût. En ivoire, doré, peint à la main sur papier ou sur soie, il peut être aussi copié des éventails chinois comme celui posé sur la console derrière Madame Moitessier. Il donne naissance à tout un langage codé en société. Le luxe des robes et des parures, la coiffure en bandeaux, le port de tête et la corpulence font de ces femmes de la haute bourgeoisie du Second Empire, les emblèmes de la "Fête impériale". La femme est imposante dans des toilettes qui ne le sont pas moins comme pour affirmer l'opulence et le dynamisme de cette époque.


La vogue des bijoux antiques : bijoux de fouille et collection Campana
Depuis la fin du XVIIIe, les bijoux découverts à Herculanum et lors des fouilles de Pompéi ont inspiré de nombreux bijoutiers qui les copient, à Naples notamment. Caroline Murat, sœur de Napoléon et reine de Naples, se parait de bijoux trouvés dans les fouilles qu’elle avait ordonnées. A Paris comme à Naples, elle contribua à accroître la demande pour des travaux de bijouterie inspirés de l'Antiquité. Un témoin de cette époque décrit ainsi les bijoux qu'elle arborait en 1812 : « J'ai vu aujourd'hui la reine de Naples dans sa parure de pierres taillées provenant des fouilles d'Herculanum. On avait même soigneusement conservé la terre entre les pierres et la monture. »


La collection Campana, assemblée au XIXe siècle par le marquis Giovanni Pietro Campana, fut acquise pour une grande part par le musée du Louvre en 1861. Cet événement eut un retentissement tout particulier, les bijoux furent abondamment copiés notamment par l'orfèvre Castellani.


Depuis la deuxième moitié du XIXe siècle, les femmes comme la Princesse de Broglie, mêlent aux traditionnels bijoux "à la française", des bijoux "à l'étrusque" : à son cou, une bulle en or et à sa main, un anneau torsadé sont tous deux copiés des bijoux de la collection Campana. Sa bague à chaton en forme de nœud d'Héraclès ressemble à celle du Musée du Louvre. De manière générale, les cabochons sertis, les camées, les pierres gravées (ou intailles) sont directement inspirés des montages de bijoux antiques. Par exemple, le médaillon du corsage de Madame Moitessier est une interprétation des colliers à médaillon de la collection Campana comme celui orné d'un scarabée du IVe siècle présenté au Louvre. Ingres lui même fut fasciné par quelques exemplaires de la collection Campana : « Il y a des choses d'un type nouveau qui surprennent ceux qui croyaient connaître l'Antiquité. »


Magali Simon, professeur d’histoire mis à disposition au service des activités éducatives et culturelles du musée du Louvre

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