Louvre

Histoire des Arts, seconde


Objectifs
Faire des rechercher sur la musique à l’époque d’Ingres, époque de grands compositeurs (Liszt, Gounod, Berlioz).
Étudier un portrait au croisement des préoccupations esthétiques d'Ingres et dans lequel se révèle son rapport à la musique et à l'antiquité.


Description
Le tableau montre le compositeur en buste vêtu d’un habit noir, assis de face le visage appuyé sur une main, le bras accoudé à une tablette. Derrière lui se tient une femme vêtue à l’antique d’un péplos clair, tenant une lyre à la main tandis que son bras droit étendu au dessus de la tête du compositeur semble à la fois le désigner et le protéger. Il s’agit de Terpsichore, la muse de la danse et de la poésie lyrique. A l’arrière plan à gauche une colonne antique clôt la composition. Le visage du compositeur sévère, fermé et ridé, couronné d’une improbable chevelure bouclée est celui d’un homme âgé. Qualifié de « cadavéreux » par Hector Berlioz, il étonne par le réalisme du traitement et par le regard las qu’il adresse au spectateur.


Ingres et la musique
Ce tableau peint en 1842 a été précédé d’un dessin réalisé en 1834. A cette date, Ingres, directeur de la villa Médicis à Rome, avait rencontré Chérubini. Le musicien, alors âgé de 74 ans, était directeur du Conservatoire et membre de l’Institut. C’était un compositeur très célèbre. Né et formé en Italie, il s’était installé en France dès 1786. Au début de la Révolution, il s’imposa grâce à une esthétique nouvelle, perceptible dans des opéras comme Lodoïska en 1791 ou Médée en 1795 chanté 150 ans plus tard par Callas, un rôle qui lui assura la célébrité. Ingres considérait Chérubini comme l’égal de Gluck, de Mozart et de Beethoven. Pendant la Restauration, Chérubini fut comblé d’honneurs et de commandes et il composa la messe du sacre de Charles X. Cependant dès 1830, sa musique semblait dépassée à certains musiciens comme Berlioz (1803-1869) et son auteur était considéré comme un classique. Quand Ingres réalise ce portrait, il rend hommage à un musicien « canonique » dont la gloire posthume paraissait assurée à beaucoup. En faisant ce portrait, il prenait aussi position en faveur d’un musicien qui était contesté par les « romantiques » tout comme l’était sa peinture.


Ingres avait un goût prononcé pour la musique et il hésita longtemps entre peinture et musique. Après avoir fait le choix de la carrière de peintre, il continua sa vie durant à pratiquer la musique en amateur. Le tableau de Jean Alaux, L’atelier d’Ingres à Rome (1818), le montre dans son intimité le violon à la main. Cette activité est à l’origine de la célèbre métaphore inventée par un journaliste de cette époque, Émile Bergerat, qui définit le violon d’Ingres comme « une occupation secondaire dans laquelle on excelle. »


Ce goût pour la musique explique que Ingres réalisa les portraits dessinés de compositeurs contemporains illustres tels que Gounod et Liszt qu’il rencontra à Rome alors qu’il était directeur de l’Académie de France.


Un tableau d'histoire ?
Réalisé en collaboration avec son élève Henri Lehmann, ce portrait révèle chez Ingres son goût pour l’antique, sensible dans le décor et surtout dans la remarquable figure de la muse. L'œuvre rappelle la Stratonice peinte à cette époque.


Ce tableau étonna et étonne aujourd’hui par sa « dissonance centrale », celle qui oppose la figure idéalisée de la muse à celle réaliste et emplie de spleen du musicien. Le visage marqué par le temps est une exception dans l’œuvre du peintre comme cela a été remarqué : « Sauf sans doute sur le visage de Cherubini, l’âge ne se dépose nulle part en signes matériels, stigmates et rides. »


Le contraste entre ces deux figures transforme cette toile en tableau d’histoire et lui confère une grande originalité. Il le rend inclassable à la fois classique par le décor et la représentation de la muse, mais aussi réaliste par le personnage du musicien.


Les contemporains ont perçu l’étrangeté de ce portrait qui devint rapidement célèbre. Présentée aux Tuileries, elle fut immédiatement acquise par Louis-Philippe qui la qualifia de « moderne ». Elle fut gravée, dupliquée et copiée et elle figura à l’Exposition universelle de 1855.


Maryvonne Cassan, professeur d’histoire des arts mis à disposition au service des activités éducatives et culturelles du musée du Louvre

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