Louvre

Histoire seconde et 4ème, Histoire des Arts, seconde


Objectifs
Étudier une œuvre célèbre, un "tableau-symbole", une icône, "l'image de la bourgeoisie triomphante".
Faire comprendre les enjeux artistiques d'un des portraits les plus réussis d'Ingres.
Rechercher la postérité du tableau notamment chez Picasso.


Description
Ce portrait a été remarquablement décrit en 1870 par Charles Blanc « familièrement assis et accablé de son embonpoint, le modèle appuie ses deux mains tournées en dedans sur ses cuisses écartées, et de ses bras arrondis il semble soutenir le poids de son obésité. L'expression interrogative de son œil perçant, le léger désordre de ses cheveux, le nœud lâche de sa cravate, l'ampleur de son gilet, que remplit le développement de la poitrine, la tournure d'une veste redingote dont les plis trahissent les habitudes d'un corps toujours grossissant, les larges manches d'où sortent des mains boudinées, aux doigts fuselés et délicats, tout cela spécifie la personne ne varietur. »


François-Louis Bertin, tourné de trois-quarts, la tête de face, est assis sur une chaise de bureau dont l'accoudoir en bois verni comporte le reflet d'une fenêtre. Ingres cite ici les peintres flamands qui tel Van Eyck étaient les maître de ce type de procédé. Une lumière dorée venant de la gauche modèle subtilement le visage éclairé aussi par le col blanc de la chemise. Elle met en valeur les mains, seules taches claires situées dans le bas du tableau. Les vêtements sont traités avec beaucoup de minutie dans des camaïeux de brun et noir qui s'harmonisent avec le fond beige marron. Cette palette presque monochrome n'est pas sans rappeler celle utilisée par Raphaël dans le portrait de Balthasar Castiglione. Le cadrage employé renforce la composition pyramidale du tableau : le bas du triangle étant occupé par le bas du corps du personnage.


Le portrait d'un bourgeois moderne?
Cette œuvre est une commande de Louis-François Bertin qui avec son frère Louis-François Bertin de Vaux dirigeait l'un des organes de presse les plus influents de la première moitié du XIXe siècle.


C'est en 1800 que les deux frères achetèrent une modeste feuille appelée Le Journal des débats politiques et littéraires, pour le transformer en instrument de propagande politique. Opposant résolu à l'Empire au point d'être exilé par Napoléon I, Louis-François Bertin était partisan de la monarchie constitutionnelle. Il accueillit favorablement la Restauration mais prit cependant très vite ses distances avec le régime autoritaire de Charles X. Au moment des "Trois Glorieuses", il se place dans le camp de Louis-Philippe. Sous la Monarchie de Juillet, le Journal des Débats devient le principal défenseur du régime, ainsi que le représentant du monde des affaires et de la bourgeoisie triomphante. La réussite sociale de Bertin est celle de ces nouvelles professions - ici celle de patron de presse -, apparues après la Révolution et dont le rôle dans le monde politique et dans celui des affaires ne cesse de croître. C'est ce qui explique que l'on ai vu dans cette œuvre d'abord et avant tout le portrait d'un bourgeois qualifié par Édouard Manet de "bouddha de la bourgeoisie cossue, repue et triomphante".


Cette lecture n'est sans doute pas celle voulue par Ingres et il apparaît à la lumière des dernières recherches que l'artiste n'a pas cherché à faire de ce portrait le symbole d'une classe sociale. Pour lui les enjeux étaient autres : ils étaient avant tout picturaux.


"Une reconstruction idéale"
Commencé en 1832, ce tableau ne fut achevé qu'au prix de longs efforts comme Ingres le dit lui même et comme les nombreuses esquisses dessinées en témoignent. Exposé au Salon de 1833, il reçut une critique enthousiaste et unanime.


L'oeuvre impressionne par le réalisme de la représentation, le rendu des vêtements sobres, par l'attitude déterminée du modèle, par le regard qui nous fixe, et par l'énergie qui se dégage du personnage. La composition pyramidale et le cadrage concourent à donner à Bertin une présence qui a frappé tous les observateurs : « j'ai vu le portrait de monsieur Bertin et c'est au dessus de tout éloge, écrit Amaury-Duval, parce que c'est un homme que l'on voit et non une peinture. »


Ce réalisme apparent est en fait le résultat d'une combinaison de procédés formels caractéristiques de l'art d' Ingres et qui constituent comme l'affirme Baudelaire son "style". Ainsi remarque-t-on le rendu fidèle et sans concession des traits du visage à la manière des maîtres flamands et allemands tels Holbein dans le portrait de William Warham, archevêque de Cantorbery. Mais cela ne va pas comme souvent chez Ingres sans déformations anatomiques. Elles sont visibles au niveau des bras et des mains et notamment de la main droite dont on comprend mal comment le pouce se rattache aux autres doigts ; ces derniers évoquent le texte de Baudelaire (doc.1) « une armée de doigts trop uniformément allongés en fuseaux et dont les extrémités étroites oppriment les ongles. »


Ingres, dans ce portrait, comme l'a remarqué Baudelaire en 1846 procède ainsi « à la reconstruction idéale des individus ». Il s'agissait pour l'artiste de peindre la complexité d'un individu, « l'analyse psychologique et sa mise en scène plastique l'emportait nettement sur l'approche sociétale ». (Vincent Pomarède)


La stylisation formelle des portraits d'Ingres a séduit les modernes au premier rang desquels on compte Picasso. Picasso se souvient du portrait de Monsieur Bertin quand en 1905-06, il fait celui de Gertrude Stein ou en pleine période cubiste celui de M. Kahnweiler. Dans ces deux exemples, on retrouve la pose de trois quarts, la composition pyramidale et l'accent mis sur le visage et, dans le cas de Gertrude Stein, sur les mains.


Vous pouvez retrouver cette séquence dans TDC (Textes et Documents pour la classe), numéro spécial Ingres, revue éditée par le CNDP en partenariat avec le musée du Louvre, le musée Ingres à Montauban et le musée de l'Arles et de la Provence antiques, mars 2006.


Maryvonne Cassan, professeur d’histoire des arts mis à disposition au service des activités éducatives et culturelles du musée du Louvre

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